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caprices d’un cerveau où fermente la folie. Nathanaël est impuissant à distinguer les « images intérieures, » créées par son délire et extériorisées par le désordre de ses sens, des personnes et des objets que chacun peut voir et toucher. Clara, sa fiancée, lui écrit : « Toutes ces choses effrayantes que tu nous rapportes me semblent avoir pris naissance en toi-même : le monde extérieur et réel n’y a que peu de part. » Ces paroles ne servent qu’à exaspérer Nathanaël, spectateur terrifié d’une fantasmagorie envahissante, qui n’est que trop réelle pour lui, et ne lui laisse bientôt plus un coin de saine réalité où se réfugier.

Dans l’autre groupe de contes, celui qui se réclame des sciences psychiques, une idée théorique a fourni le point de départ. Les images sont venues ensuite, plus ou moins à l’état d’hallucinations, selon les jours et surtout selon les heures. D’après Hoffmann, inhabile à discerner les sensations maladives, le degré de force avec lequel la vision s’impose fait la différence de puissance entre un poète et un autre. Quand la création de son imagination ne s’objective pas devant ses yeux de chair à le remplir « de joie, d’horreur, d’allégresse, d’épouvante, » le poète n’enfante que des poupées, de pauvres marionnettes collées à grand’peine. Il n’y a de vrai poète que le « vrai Voyant ». Le Serment roule sur deux des phénomènes que des hommes de science nous convient aujourd’hui à tenir pour authentiques. L’un, le plus difficile à croire, est la communication à distance, la « télépathie ». L’exemple choisi par Hoffmann est classique. On en trouve de tout semblables, en abondance, dans les travaux de médecins et de professeurs appartenant à différentes nations.

Le comte de C*** voit entrer sa fille Hermengilde en vêtemens de deuil. Elle lui annonce avec désespoir que Stanislas, son époux, a été tué au loin dans des circonstances qu’elle lui rapporte. Le comte la croit folle. Il a de bonnes nouvelles de Stanislas, qui n’est point, d’ailleurs, le mari d’Hermengilde ; il n’est que son fiancé. Les jours passent ; on apprend que le jeune homme est mort et que le récit de la jeune fille était exact.

Il reste à s’expliquer l’obstination d’Hermengilde à soutenir qu’elle s’est mariée tel jour, à telle heure, avec un homme qui se trouvait alors au bout de l’Europe. La malheureuse a été victime d’un phénomène dont nous voyons qu’il est question à présent jusque dans les antichambres des cours d’assises. Un amoureux éconduit, le comte Xavier, avait abusé de ce qu’elle était facilement hypnotisable[1] pour lui suggérer qu’il était Stanislas, et

  1. J’ai déjà prévenu que les termes employés de nos jours n’étaient pas connus au temps de Hoffmann. Toutes les fois qu’il s’agissait de phénomènes évidemment identiques, je ne me suis pas fait scrupule de prendre les mots nouveaux que tout le monde comprend.