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et pourtant c’était celle qu’il eût été le plus aisé de résoudre. La poste existait. Il est vrai que, comme on l’a vu, l’empereur s’en était réservé l’usage ; mais concevrait-on que, si l’autorité impériale avait compris les services que la presse pouvait lui rendre pour diriger l’opinion, elle eût hésité à faciliter au Journal de Rome les moyens de parvenir régulièrement dans toutes les provinces ? Rien ne lui eut moins coûté, ou plutôt rien ne lui eût rapporté davantage. On a de la peine à comprendre comment des gens aussi pratiques que les Romains, et dont Pline l’Ancien dit qu’il n’y en a pas qui soient plus avides de tout ce qui peut être utile, omnium utilitatum rapacissimi, ne se sont pas décidés à faire profiter tout le monde de la poste impériale. Restreinte au service des dépêches du prince, elle était une des plus grandes dépenses de l’Empire, et devint avec le temps une des causes de sa ruine ; mise à la disposition des particuliers, elle pouvait être une source abondante de revenus. Pour qu’on fût amené à saisir l’utilité de cette réforme, il suffisait d’une occasion, et le journal pouvait la fournir. Comme il avait une origine et un caractère officiels, il semble que l’empereur devait avoir moins de répugnance à permettre, par exception, à la poste de le transporter, et qu’avec le temps l’exception pouvait devenir la règle. D’ailleurs ici encore on aurait pu à la rigueur se passer de la poste. Nous savons qu’on voyageait beaucoup dans l’empire romain, et qu’en somme on voyageait assez vite[1]. Autour des relais où l’on réunissait les voitures et les chevaux de l’empereur, il ne manquait pas de voitures et de chevaux de louage que l’on mettait volontiers à la disposition des particuliers ; il n’était pas impossible d’organiser avec eux un service indépendant, si on l’avait bien voulu.

Il est donc sûr qu’aucun des obstacles que la presse a rencontrés devant elle à Rome n’était en soi insurmontable, mais il est sûr aussi qu’on n’a fait aucun effort pour les surmonter. C’est la preuve manifeste du peu d’intérêt qu’on éprouvait pour elle. Parmi les raisons qui ont dû indisposer les Romains de cette époque contre les journaux, une des plus graves peut-être, c’est qu’ils étaient fort mal écrits. Des gens dont Sénèque nous dit qu’ils souffraient d’une intempérance de littérature devaient être très sensibles à ce défaut. Le Journal de Rome, il ne faut pas l’oublier, est sorti d’un procès-verbal : il en a toujours conservé la monotonie et la sécheresse. Pétrone, dans son roman satirique, suppose qu’il prend fantaisie à Trimalchion, au milieu de l’étrange dîner qu’il offre à ses invités, de se faire lire son livre de comptes. Ce

  1. Je renvoie aux renseignemens que donne M. Friedlander sur la façon de voyager des Romains dans le premier volume de ses Mœurs romaines d’Auguste aux Antonins.