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mars, écrit-il à Atticus, et j’y vois que, grâce à Curion, on ne s’occupera pas des provinces, et que je pourrai quitter la mienne sous peu de temps. » Un siècle et demi plus tard, Pline le jeune, qui est dans ses terres, écrit à l’un de ses amis resté à Rome : « Conservez la bonne habitude de faire copier le journal et de me l’expédier, pendant que je suis aux champs. » Plus tard encore, sous Théodose, Symmaque remplit ses lettres de politesses banales et s’épuise, suivant son expression, à souhaiter finement le bonjour à ses amis. Mais, pour ne pas les laisser tout à fait dans l’ignorance des affaires publiques, il joint à ces généralités un résumé des nouvelles politiques ou autres, qu’il appelle Breviarium ou Indiculus. Ce résumé fait sous sa direction par quelqu’un de ses secrétaires est emprunté, sans aucun doute, au Journal de Rome.

Ainsi, pendant toute la durée de l’Empire, du commencement à la fin, le journal a vécu ; mais il a vécu toujours de la même manière. Aucune innovation féconde ne paraît jamais s’y être introduite, et vivre ainsi c’est végéter. On s’en est servi pour transmettre les nouvelles, c’est à cela qu’il avait été employé dès le début ; mais on n’en a pas fait autre chose, et personne ne s’est douté de l’importance qu’il pouvait prendre. On lui était même fort peu reconnaissant du profit qu’on tirait de lui, et ceux qui auraient eu grand’peine à s’en passer affectaient de n’en parler qu’avec le plus grand dédain.

On peut donner beaucoup de raisons pour expliquer que la presse n’ait pas pris alors le même développement et la même importance qu’aujourd’hui ; et pourtant il me semble qu’à les regarder de près aucune d’elles n’est tout à fait décisive. La plus grave de toutes assurément, c’est qu’entre les Romains et nous il y avait cette différence, que le journal vient nous trouver, tandis que, chez les Romains, il fallait aller trouver le journal. On l’affichait dans un endroit où tout le monde pouvait le lire ; en réalité, on ne le lisait que par hasard, quand on était de loisir et qu’on passait près de la muraille où il était écrit. On pouvait à la vérité l’envoyer copier, mais c’était une affaire, et on ne s’y résignait que quand on ne pouvait pas faire autrement, c’est-à-dire quand on s’absentait de Rome et qu’on voulait savoir ce qui s’y passait. Tant qu’on habitait la ville, qu’on assistait aux réunions du sénat, qu’on fréquentait les sociétés bavardes dans lesquelles se répétaient ou se fabriquaient les nouvelles, on se croyait dispensé de les chercher ailleurs. Ainsi l’usage qu’on faisait des journaux n’était qu’intermittent : il aurait fallu qu’il fût régulier pour devenir une habitude ; et, comme il ne devint pas une habitude, il ne fut jamais un besoin.