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des correspondans, chez lesquels ils déposaient, comme ils font aujourd’hui, les livres qu’ils voulaient vendre. Cicéron écrit à son éditeur Atticus : « Ayez soin que mon ouvrage soit à Athènes et dans les autres villes de la Grèce ; » c’est-à-dire déposez-le chez les libraires du pays, où les curieux pourront le prendre. Pour faire entendre qu’un livre a du succès, Horace dit « qu’il fait gagner de l’argent aux frères Sosies et qu’il passe la mer ; » ce qui signifie qu’on le vend dans les provinces sur la réputation que les Romains lui ont faite. Si, au contraire, le débit n’en est pas très productif à Rome, le libraire, qui veut rentrer dans ses fonds, et qui compte que les Africains et les Espagnols n’auront pas le goût si fin ou si difficile que les Romains, en fait empaqueter les exemplaires avec soin, et les envoie à Utique ou à Herda. On vendait donc en province les livres bons ou mauvais qui paraissaient dans la capitale. Il s’y trouvait des libraires, ce qui causait quelque surprise à Pline le Jeune, qui croyait sans doute, comme beaucoup de beaux esprits, que le monde finissait aux limites du pomœrium. Mais sa surprise se tourna bien vite en satisfaction quand on lui apprit qu’ils tenaient ses ouvrages, et que les provinciaux les lisaient et les admiraient beaucoup : « Je commence à croire, disait-il, que mes livres ne sont pas loin d’être parfaits, puisque, dans des pays si différens, le goût de gens qui se ressemblent si peu s’accorde à les estimer. » On voit que sa réputation n’avait pas mis longtemps à pénétrer jusqu’en Gaule. Celle de Martial était allée plus loin encore, puisqu’il nous dit que « la Bretagne chante ses vers. » C’est qu’on croyait, en le lisant, se trouver au milieu des sociétés légères de Rome, et que c’était un plaisir aussi vif pour un Breton ou un Gaulois de cette époque que c’en était un d’entendre parler des salons de Paris pour un seigneur allemand ou russe de la fin du siècle dernier.


III

C’est surtout à la communication des nouvelles politiques que sert aujourd’hui le journal, et il nous paraît bien difficile qu’en ce genre de service il puisse être remplacé. Les Romains, qui étaient un peuple libre, s’occupaient beaucoup de leurs affaires[1]. Les débats de la place publique, les procès devant

  1. Quand Virgile nous dit que le laboureur italien « détourne les yeux des faisceaux populaires et du forum insensé, et que le Dace descendant de l’Ister avec toutes ses tribus conjurées ne lui cause aucun souci ; » il veut parler du laboureur qui vient de traverser les guerres civiles, qui est fatigué de la liberté, et qui s’est choisi un maître.