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I

Il est d’abord évident que si les anciens n’ont pas senti comme nous le besoin d’avoir des journaux, c’est qu’ils avaient autre chose qui en tenait lieu.

Parmi les moyens de publicité dont ils disposaient, il n’y en a pas dont ils aient fait plus d’usage que des affiches ; nous nous en servons encore beaucoup, mais bien moins qu’eux. Quand on parcourt les ruines d’une ville romaine, on en rencontre à chaque pas. Il y en a qui étaient faites pour durer et qu’à cette intention on gravait sur l’airain, sur le marbre, sur la pierre. C’étaient les actes de l’autorité, les lois des empereurs, les décrets du sénat et des décurions, ou même, dans la vie privée, les contrats qui garantissent un droit de possession, et jusqu’aux procès-verbaux des corporations religieuses qui veulent établir qu’elles se sont régulièrement acquittées de leurs fonctions sacrées. Pour les choses d’importance moindre, on n’a pas recours à des matières d’aussi grand prix. Sur une planche de bois, ou simplement sur un mur blanchi à la craie, on trace, en noir ou en rouge, avec un pinceau, ce qu’on veut faire savoir : il s’agit d’une location d’appartement « aux kalendes de juillet ou aux ides d’août » ; de l’annonce d’un spectacle « qui aura lieu si le temps le permet ou sans aucune remise », ou plus souvent encore d’une réclame électorale ; la location faite, le candidat élu ou repoussé, on passera une couche nouvelle de blanc sur la tablette, et elle servira pour le candidat de l’année suivante ; les réclames de ce genre sont très nombreuses à Pompéi.

L’abondance des affiches dans les villes romaines s’explique aisément par les conditions mêmes de la vie antique. On sait que les anciens n’ont jamais eu beaucoup de goût pour vivre dans leurs maisons, et qu’ils passaient une partie de leurs journées sur le forum à jouir des spectacles que leur donnait la place publique. Dans ces longues promenades, les affiches venaient naturellement frapper leurs yeux : ils s’arrêtaient pour les lire, et c’était une des occupations ordinaires de leurs journées oisives. Les choses sont bien changées dans nos sociétés modernes ; on y reste plus volontiers chez soi, et l’on y a beaucoup plus à faire. Le temps et l’occasion nous manquent de courir les rues et de regarder les murailles : ainsi est-il arrivé que, comme nous n’allons plus chercher les affiches, ce sont les affiches qui sont venues nous trouver.

Cette petite révolution s’est accomplie au moyen du journalisme. Il y avait à Paris, au commencement du XVIIe siècle, un