ses intérêts les plus chers, il voulait que rien ne vînt troubler les rapports de simple patron qu’il entendait conserver avec ses ouvriers. Il a fait de la politique à Toulouse, et de la meilleure ; il n’a fait à Carmaux que de l’industrie. Très en avant des réformes qui n’ont été législativement réalisées que plus tard, il a spontanément et depuis longtemps créé autour de son usine toutes les institutions qui devaient améliorer le sort de ses ouvriers et assurer leur avenir. Les premiers fonds versés dans leurs caisses sortaient toujours de sa poche. Enfin il a recherché dans toute la France quels étaient les salaires les plus élevés que ses concurrens donnaient à leurs ouvriers, et, pour les siens, il les a majorés de 3 pour 100. Voilà l’homme qu’on a dénoncé comme un exploiteur égoïste et un affameur du peuple. Pendant trente années consécutives, l’harmonie la plus complète n’a pas cessé de régner dans son usine. Pas un nuage n’a obscurci la sérénité du ciel. M. Jaurès a reconnu lui-même que M. Rességuier avait été autrefois un bon patron.
Trente ans sont, en effet, un long espace dans la vie de toute une génération. Le caractère d’un homme a le temps de s’y dessiner et de s’y fixer avec des traits qui ne changent plus. Comment donc un accord qui s’était maintenu si longtemps a-t-il pu être troublé ? C’est ce que M. Jaurès n’a pas dit. Il y a eu, à cet endroit de son récit, une véritable solution de continuité. Du jour au lendemain, tout s’est trouvé changé à Carmaux, sans qu’il ait expliqué cette brusque métamorphose. Heureusement, M. Leygues a été plus complet ; il a fait comprendre l’évolution. Entre temps la loi de 1884 était survenue, loi excellente lorsqu’elle est bien appliquée, détestable lorsqu’elle l’est mal. Elle a, comme on le sait, créé les syndicats ouvriers. M. Rességuier s’en est-il ému ? Au contraire : il a le premier conseillé à ses ouvriers de former un syndicat, et, suivant sa généreuse habitude, il a versé les premiers fonds dans la caisse qui s’ouvrait. Pourquoi se serait-il méfié ? Les ouvriers et lui n’avaient-ils pas l’habitude de s’entendre toujours et sur tout ? Et en effet, le bon accord s’est maintenu pendant quelques années. Puis, à la suite d’une grève des ouvriers mineurs de Carmaux, M. Jaurès a été élu député de l’arrondissement. Carmaux est devenu un des centres socialistes les plus actifs, les plus remuans, les plus surchauffés. Peu à peu, le syndicat des ouvriers verriers a été entraîné dans le mouvement qu’on s’efforçait de rendre général. La politique, avec les élémens de discorde qu’elle apporte si souvent avec elle et que M. Rességuier avait réussi jusqu’à ce moment à écarter de son usine, la politique y est entrée tyranniquement. L’œuvre de paix qui, au bout de trente ans, semblait avoir atteint l’âge de la prescription et la consécration de la durée, a été aussitôt compromise. Le syndicat a voulu être le maître, le seul maître à Carmaux, devenir le régulateur de la discipline, donner des congés ou les refuser,