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tenait ses séances. Nous organisions des concerts, des bals, des parties de campagne ; et nous étions reçus familièrement dans la meilleure société de la ville. » Inutile d’ajouter que, suivant l’usage des professeurs allemands, Sybel s’était marié à peine en possession de sa docenture, ce qui ne l’empêchait point du reste, toujours suivant l’usage des professeurs allemands, de passer à la brasserie une grande partie des heures qu’il n’employait pas à « se plonger dans ses livres ». Son revenu, malheureusement, restait assez mince, malgré la réputation croissante de son enseignement ; et il se trouvait dans une situation matérielle assez embarrassée lorsque, en 1845, le ministre Eichhorn, sur la recommandation de Ranke, lui offrit la place de professeur titulaire d’histoire à l’université de Marbourg.


En arrivant à Marbourg, Sybel se proposait d’écrire une histoire des Gètes et des Goths, et un tableau de la condition politique et sociale des premiers chrétiens. Mais le milieu nouveau où il se trouvait transporté ne tarda pas à éveiller en lui d’autres curiosités. Marbourg était alors, en effet, un ardent foyer d’agitation politique : on n’y parlait que de suffrage universel, de réformes sociales, voire même de république et de révolution. Plusieurs des collègues de Sybel à l’Université professaient les opinions les plus radicales, notamment l’économiste Hildebrand, qui eut vite fait de faire oublier au jeune historien les Gètes et les Goths pour l’entraîner avec lui dans la lutte politique.

Non pas cependant qu’il soit parvenu à le convertir à ses idées : car dès ce moment Sybel était l’adversaire déclaré du radicalisme. Il le fit bien voir, l’année même qui suivit son installation à Marbourg, en publiant un ouvrage sur Burke et la Révolution française, où, rendant compte de la correspondance de Burke, qui venait de paraître, il exposait en même temps un programme complet de politique nationale et antirévolutionnaire. « Sybel, dit M. Bailleu, était un libre penseur, en matière politique comme sn matière religieuse ; mais on ne peut pas même dire qu’il ait été un libéral. C’était plutôt quelque chose comme ce qu’il nous dit qu’était Burke : un whig conservateur. De la formation d’États constitutionnels, mais non pas d’une révolution, il attendait la réalisation de l’idéal libéral. Ennemi de l’ultramontanisme et du féodalisme, il n’était pas moins opposé à la doctrine de la souveraineté populaire. Et il avait la conviction que seule la monarchie prussienne était capable de réaliser l’État allemand idéal, cet État qu’il considérait comme « le but suprême de toute l’évolution historique de l’Allemagne. »

La réforme de l’enseignement, en particulier, lui paraissait une condition nécessaire de toute grande réforme politique et sociale. Il demandait que « les universités allemandes fussent plus profondément imprégnées de l’esprit de leur temps, » il rêvait de substituer dans