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dialogue d’Ibsen, mais elles peuvent montrer aux jeunes auteurs à imiter les flexions nouvelles du langage familier et à s’approcher ainsi d’un pas plus près de la vie.

M. Archer a été suivi et peut-être dépassé dans son apostolat par des écrivains pleins d’ardeur et de talent. Parmi ces critiques d’avant-garde, il est impossible de ne pas citer celui qui signe Spectator dans le Star et A. B. W. dans le Speaker. Sous ce pseudonyme et à travers ces initiales le public est habitué à reconnaître un de ses favoris, M. Arthur B. Walkley. À ce nom s’ajoute celui de M. G. Bernard Shaw, dont les articles dans la Saturday Review ont fait, cette année même, beaucoup de bruit et forment une véritable campagne en l’honneur d’Ibsen.

Les directeurs de théâtre, on le devine, craignaient Ibsen comme le l’eu. M. Tree est le premier des acteurs-directeurs qui ait osé tenter l’aventure ; c’est un esprit qui accepte les réformes et, au besoin, les provoque. Dès 1891, dans une conférence faite devant le Playgoers’ Club, il analysait très spirituellement une des pièces les plus frappantes de M. Mœterlinck[1]. En 1893 il a donné au Haymarket une pièce d’Ibsen. Le drame qu’il avait choisi, c’est Un ennemi du peuple. Il avait supposé, non sans vraisemblance, que la génialité, le courage, l’optimisme invincible de Stockmann feraient la conquête de son public. Je ne pense pas qu’il se soit repenti, puisqu’il a fait, depuis, une tentative analogue, avec une pièce de Björnson. Il a donné là un bon exemple à de plus grands que lui, et, à ce propos, j’oserai risquer une question. Est-ce qu’lrving quittera la scène sans s’être mesuré avec un rôle d’Ibsen ? Quoi qu’il en soit, les temps sont proches où le drame norvégien « paiera ». Oh ! pas comme Charley’s Aunt, évidemment ! Il faut être modeste quand on n’a que du génie. Ibsen peut et doit vivre sans enlever et surtout sans envier un seul spectateur à l’heureux M. Penley.

Maintenant qu’Ibsen est connu en Angleterre, quelle influence exerce-t-il déjà et doit-il exercer dans l’avenir sur la littérature dramatique nationale ? Par quelles affinités de race a été préparée cette influence ? Par quels partis pris religieux, ou philosophiques, ou esthétiques, a-t-elle été contrariée ? Sur quoi a-t-elle porté ? Sur l’art : du dramaturge ou sur les idées dont le drame s’alimente ? C’est la dernière grande question que je rencontre sur mon chemin avant de conclure ces études.

Je ne veux pas porter cette question sur le terrain mouvant de l’ethnographie : je m’y perdrais. Je dirai seulement que les

  1. On some interestivg fallacies ofthe modem Stage.