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LE GENERAL DRAGOMIROW

Bien que la doctrine militaire du général Dragomirow soit construite sur de fermes idées et qu’elle compose un édifice très complet, elle se présente au premier abord sans claires linéatures et sans parties saillantes : elle n’a pas de façade, pas de fronton, pas d’écusson, pas de devise. Ces matières utiles valent en soi et sans combinaison d’art ; on voit que l’œuvre agie a primé l’œuvre écrite ; qu’au fur et à mesure, d’après les occasions de guerre, d’après les positions de service, d’après les nouveautés de la spéculation théorique et les modifications aux règlemens, surtout d’après les rares loisirs d’une carrière très remplie, ce recueil se complétait de lui-même, semblable à quelque vieille demeure de famille divisée, développée, surélevée suivant les changeans besoins de la vie ; ou plutôt, semblable à une forteresse ancienne accommodée sans cesse aux conditions nouvelles de la guerre, et dont l’appareil montre à la fois ce qu’il reste d’hier et ce qu’on pourrait créer aujourd’hui.

Ces différens essais, entre lesquels il n’est que le lien d’une intention commune et d’une destination commune, doivent à leur indépendance relative un grand charme de liberté et de sincérité : l’homme se laisse volontiers voir en ces occasions littéraires dont aucune ne mérite une expression définitive de sa doctrine, mais qui toutes l’entraînent à sa conviction du jour ou son indignation du moment. Celles-ci montrent à découvert une noble figure d’officier moderne, investie de bonté et de savoir ;