ouvre la porte de la vie véritable ; la mort indifférente et fatale qui foule aux pieds l’homme en sa fleur
Tout homme de la femme yssant,
Rempli de misère et d’encombre,
Ainsi que fleur tost finissant,
Sort et puis fuyt comme fait l’umbre ;
L’Italie se détourne de la formidable vision, car elle n’a pas le courage de l’envisager avec le calme dédain des sages antiques, et la vie seule lui semble bonne, la joie seule excellente et le rire plus divin que les larmes. Elle se fait déjà une conscience nouvelle, voluptueuse et légère. L’enfer de son plus grand poète est un cauchemar inquiétant qu’elle rejette pour toujours. Elle revient à l’inspiration sensuelle de ses clercs errans du temps
Fronde sub arboris amœna
Suave est quiescere,
Suavius ludere in gramine
Cum virgine speciosa.
Le Triomphe de la Mort, de Pétrarque, qui est sans doute d’une date plus récente que le Décaméron, se rattache encore aux idées et aux émotions d’autrefois. L’ombre de Laure morte dit au poète : « Je suis vraiment vivante, et c’est toi qui es mort et qui seras mort jusqu’à l’heure dernière qui t’enlèvera à la terre. La mort est la fin d’une prison ténébreuse pour les âmes gentilles ; pour les autres, qui ont mis leurs soins dans la fange, elle est une douleur. »
Regardez maintenant, au Campo Santo de Pise, le Triomphe de la Mort, qui est de l’école florentine d’Orcagna, et contemporain de Boccace. Au dernier plan de la fresque, c’est encore la tradition macabre qui passera, hors d’Italie, aux peuples austères et tristes, à Albert Dürer et à Holbein. La mort, toute en noir, fauche pêle-mêle les rois, les papes, les clercs, les abbesses, et court à une retraite ombreuse où, sous les orangers chargés de fruits d’or, autour desquels voltigent des amours, des cavaliers et des dames écoutent un concert de musique. Plus bas, dans le désert farouche, les Pères ascétiques s’agenouillent et prient. Voilà pour le passé. Et voici, au premier plan du tableau, le Verbe de la Renaissance. Une chevauchée brillante, jeunes seigneurs et jeunes dames, est arrêtée brusquement par trois sépulcres ouverts, par trois cadavres de rois couronnés : l’un, livide et difforme, l’autre, rongé des vers, le troisième, squelette décharné. Le cortège se penche avec plus d’ennui que de terreur vers la