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enseveli remonte à l’âge précédent. La stèle, on l’a trouvée, à Mycènes, dans l’enclos funéraire de l’acropole et dans les tombes rupestres de la ville basse ; on a même relevé quelques indices qui feraient supposer qu’elle surmontait aussi le dôme des tombes à coupole. La stèle est une pierre brute ou une pierre taillée à faces lisses ; mais parfois une de ces faces est décorée ou de motifs d’ornement ou de figures qui rappellent les occupations favorites et les exploits du défunt. Aurait-on encore trouvé, du temps d’Homère, sur les stèles auxquelles il fait allusion, des dessins et des représentations de cette espèce ? Rien, dans aucun des deux poèmes, ne le donne à penser.

L’érection du tertre est alors si bien entrée dans les usages que l’on n’y renonce pas, alors même que l’on ne possède pas les restes du mortel et que l’on n’a pu les brûler. Dans ce cas, on croit encore s’acquitter d’un devoir en construisant le tumulus. Celui-ci, quoique vide, prolongera la mémoire du mort. Les honneurs qui seront rendus à cette tombe fictive, s’ils n’ont pas la même efficacité que la crémation et que l’ensevelissement des cendres, seront, en attendant mieux, une satisfaction accordée à l’âme errante. C’est ce que Télémaque se propose de faire le jour où il aurait obtenu la certitude de la mort d’Ulysse : il lui élèverait un cénotaphe[1].

Si le développement de conceptions du genre de celles que nous avons analysées avait pu être soumis aux règles d’une logique rigoureuse, le culte des morts, tel que nous l’avons deviné et restitué d’après la tombe mycénienne, aurait cessé de plein droit là où prévalut le rite de l’incinération. Toute offrande est intéressée. Les sacrifices que recevait la tombe avaient pour objet d’empêcher les morts de nuire aux vivans et de les décider à leur être favorables : quand ces morts seraient enfermés dans l’Hadès, on n’aurait plus aucune raison de leur faire des cadeaux qu’ils n’auraient pas le pouvoir de reconnaître par une intervention efficace ; aussi ne trouve-t-on, chez Homère, aucune allusion à un culte qui devrait se continuer, d’anniversaire en anniversaire, sur ces tumulus que l’on élève aux héros. Cependant, c’est encore l’ancienne croyance qui inspire Achille lorsque, le soir du jour où il a tué Hector, il fait couler autour du corps de Patrocle le sang des victimes, lorsque, le lendemain matin, les Myrmidons coupent leurs cheveux et les répandent sur le corps, lorsque Achille met sa propre chevelure dans les mains de son ami, lorsque enfin, autour du bûcher qu’il arrose d’huile et de miel, il immole des

  1. Odyssée, I, 290-292 ; II, 220-223.