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de la contradiction, des élémens qui n’y sont pas à leur place, qui, logiquement, appartiennent à la donnée que l’intelligence paraissait avoir dépassée et délaissée.

La croyance à l’Hadès, rendez-vous et séjour des ombres, n’a donc que très incomplètement triomphé ; elle n’a pas supprimé toute trace et toute manifestation de la croyance antérieure, dépendant, même, ainsi, elle n’a pu manquer d’avoir une certaine action sur les rites funéraires, et c’est par cette action que nous inclinerions à expliquer le changement qui s’est produit dans les usages, quand la Grèce a commencé de brûler les cadavres que, jusqu’alors, elle avait toujours inhumés. Nous croyons saisir le lien qui l’attache la pratique de la crémation à l’hypothèse que l’épopée suppose, partout où elle fait allusion à la condition des morts.


IV

Pour Homère, il ne reste de l’homme, après le trépas, que l’ombre, que cette ombre impalpable qui est pourtant le vivant portrait du d élu ni, son portrait physique et moral. Quelles particules ténues, quelles vapeurs subtiles entraient dans la composition de ce fantôme, nul n’aurait su le dire ; mais, en tous cas, elle n’était pas faite d’os, de tendons ni de libres musculaires, de rien qui eût quelque consistance et quelque poids. Il semblait donc qu’elle ne pût naître et se former, pour prendre ensuite son essor vers l’Hadès, que quand serait détruite toute la matière organique. Les débris du corps, tant qu’ils n’auraient pas achevé de se dissoudre, empêcheraient la personne humaine de se transfigurer en une image incorporelle et comme de se volatiliser. Pour hâter le moment où s’accomplirait cette séparation, était-il un plus sûr moyen que de livrer ce corps aux ardeurs dévorantes de la flamme ? C’est ce qu’ont certainement pensé les inventeurs de l’incinération, et, dès que l’on se place à leur point de vue, on ne saurait contester la justesse de leur raisonnement. Sans doute, celui-ci n’est exposé nulle part dans l’épopée tel que nous le présentons ; mais on le sent impliqué dans la réponse que la mère d’Ulysse adresse à son fils quand celui-ci se plaint de ne pouvoir la presser dans ses bras :


Telle est la loi qui s’impose aux mortels lorsqu’ils sont morts ;
Alors plus de nerfs qui maintiennent la chair et les os.
Tout cela, la force puissante du feu brûlant le consume