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dont les contemporains d’Hérodote et de Thucydide ne soupçonnaient déjà plus l’existence.

Cette Grèce primitive ne connaissait pas l’écriture, ou si, comme on commence à le croire, elle possédait déjà un système de signes, celui-ci était trop élémentaire, il n’était pas d’un usage assez courant pour lui permettre de tracer des inscriptions qui témoignassent de ses actions, de ses mœurs et de ses idées[1]. On aurait donc pu craindre que, malgré l’importance des édifices encore appareils ou ensevelis sous les décombres, enceintes colossales et coupoles funéraires, malgré l’intérêt des dispositions qui se révélaient dans ces tombes et dans ces palais que l’on déblayait avec tant d’ardeur, malgré le nombre et la variété des objets qui partout reparaissaient au jour, les résultats des fouilles ne demeurassent enveloppés de quelque obscurité, que l’on eût peine à savoir quelles tribus avaient érigé ces monumens, où elles avaient été chercher tout cet or et cet argent qui, sous le fer de la bêche, étincelait au fond de leurs sépultures. On pouvait craindre surtout de ne pas réussir à indiquer, pour cette civilisation, une date même approximative. Par bonheur, les égyptologues étaient là. Dans les textes lapidaires de l’Egypte, le seul pays qui, pour ces temps reculés, ait des documens écrits et quelque chose qui ressemble à une chronologie, ils ont relevé certaines mentions, certaines données qui se trouvent présenter une singulière concordance avec les plus vieilles traditions de la Grèce et qui établissent plus d’un point d’attache entre l’histoire de l’Egypte, dont les grandes lignes sont aujourd’hui fixées, et ce monde oublié, ce monde inconnu qu’un coup de divination et de fortune venait de rendre à la vie. Grâce aux rapprochemens ainsi institués, on a pu reconnaître, avec toute vraisemblance, dans les premiers habitans de l’Asie Mineure, des îles de l’Archipel et de la Grèce orientale, quelques-uns de ces peuples de la mer qui ont menacé et attaqué à plusieurs reprises l’Egypte de la 18e et de la 19e dynastie. Les Aqaiousha qui figurent une fois parmi les envahisseurs que les Pharaons se vantent d’avoir repoussés doivent être les Achéens d’Homère, et c’est dans le cours du XIVe siècle avant notre ère qu’ils seraient allés assiéger les embouchures du Nil et saccager les campagnes et les bourgs du Delta. D’autres textes démontrent que, vers la même époque, avant comme après ces incursions, les insulaires de la mer Egée étaient censés être les vassaux de l’Egypte, qu’ils lui payaient un tribut,

  1. Voir les recherches si curieuses de M. J.-A. Evans : Primitive pictographs and a præ-phenician script from Crete and the Peloponnese (Journal of Hellenic Studies, 1894, p. 270-372).