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pour ses nationaux, — au moins en principe, car il y a eu, dans l’exécution, quelques réserves et des lenteurs dont nous n’avons encore pas vu le terme, — celle des tribunaux que nous avons établis à Madagascar. Au reste, le gouvernement anglais est celui de tous qui s’est toujours montré le plus facile et le plus libéral pour la suppression des Capitulations dans les pays protégés, et il a lui-même, étant donné l’activité de sa politique coloniale, trop d’avantages à persévérer dans cette attitude pour qu’on puisse craindre de l’y voir renoncer.

De quelque côté qu’on se tourne, on n’aperçoit aucun bon argument à faire valoir contre le protectorat, et il faut bien croire que ceux qui l’attaquent ont pour désir inavoué de créer une administration de toutes pièces, et de distribuer une plus grande quantité de places. C’est précisément pour un motif contraire que nous sommes résolument hostiles à l’annexion. Rien n’est d’ailleurs moins conforme au bon sens que de vouloir implanter une administration française dans un pays dont les idées, les mœurs, les habitudes sont si différentes des nôtres. Entre autres défauts, cette administration aurait celui de n’être ni obéie, ni même comprise : il faudrait la mettre, pendant de longues années, entre les mains de l’autorité militaire, à moins qu’on ne préférât placer un soldat à côté de chacun de nos agens. La force, présente et effective sur tous les points, pourrait seule faire respecter un pareil établissement. Dans le système du protectorat, il suffit que la force soit placée au centre et qu’elle s’y exerce d’une manière efficace pour se faire sentir jusqu’aux extrémités. Les anciens organes de transmission continuent de fonctionner comme par le passé, avec la différence qu’ils transmettent d’autres ordres. Le danger alors, et nous espérons que notre gouvernement saura y échapper, est de marquer avec trop d’évidence à tous les yeux la sujétion du gouvernement protégé. Son prestige est une valeur à ménager : l’art du protecteur consiste à dominer toujours sans avilir jamais. Tout le monde sait, au surplus, avec quelle facilité et quelle souplesse le protectorat s’applique aisément aux milieux les plus divers. M. Alfred Grandidier, qui connaît si bien Madagascar, écrivait, il y a peu de jours, une lettre à M. Paul Leroy-Beaulieu, dans laquelle il se déclarait partisan de ce régime, et il le définissait ainsi : « Ce que nous voulons, et vous le voulez aussi, c’est que notre gouvernement utilise le concours des autorités indigènes pour l’administration intérieure du pays, que nous ne substituions pas brutalement et maladroitement nos lois et nos méthodes administratives à celles qui sont en usage, qui sont appropriées aux populations malgaches, et dont la transformation doit se faire lentement. » Et il ajoutait : « S’il n’y a à nos yeux qu’un seul genre d’annexion, il y a, au contraire, autant de formes de protectorat que de pays protégés. » Il le faut bien, puisque le protectorat a pour méthode essentielle de respecter les mœurs établies, et que celles-ci