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des virus, tous ses travaux peuvent se résumer dans une brève formule : restauration de la vie, et par conséquent du mystère qui accompagne la vie. Il n’est pas besoin de développemens pour montrer combien cette leçon, si peu d’accord avec l’esprit philosophique qui régnait vers 1860, correspond aux exigences et aux aspirations du sentiment actuel dans les divers domaines de la pensée. Pasteur fut un des créateurs de ce sentiment.

Les invisibles ouvriers auxquels il remit le soin de la vie sont des infiniment petits. Ils sont innombrables, ils sont partout. Leurs mutations rapides décident de nos destinées. Je ne sais, — et je regrette aujourd’hui de n’avoir jamais interrogé Pasteur sur ce point, — si la page fameuse de Pascal, qui pourrait servir d’épigraphe aux travaux de notre savant, fut pour quelque chose dans sa vocation vers cet ordre d’études. Quoi qu’il en soit, entre « les deux abîmes de l’infini, » il choisit tout d’abord « l’abîme nouveau », celui du ciron, et fixa pour toujours son attention « dans l’enceinte de ce raccourci d’atome. » Grâce aux grands résultats qu’il en tirait, l’attention publique, on peut même dire l’attention populaire, suivit bientôt son microscope et les menues multitudes que cet instrument révélait. Microbes et bacilles firent une fortune prodigieuse : ils exercèrent promptement sur les imaginations l’obsession que Pasteur subissait de leur fait, et qu’il a communiquée à tous ses contemporains. On apprit l’histoire, puis le roman de ce monde nouveau ; on en tira des conséquences sans fin, quelques-unes hasardeuses, d’autres puériles, et qui eussent fait sourire l’inventeur. Qu’importe ? De l’ensemble des notions de seconde main, justes ou fausses, une notion fondamentale se dégageait pour tous : nous sommes gouvernés, nourris, tués par le peuple incalculable des infiniment petits.

La science aboutissait à ces conclusions sur la vie au moment où des principes de même nature, et qu’on pourrait presque définir dans les mêmes termes, présidaient à l’organisation des sociétés. Un rapprochement inévitable se présentait à l’esprit. Qu’il soit aventureux, subtil, illégitime, qu’on le traite de généralisation hâtive ou de simple billevesée, accordons tout ; le rapprochement ne s’en fait pas moins dans un grand nombre d’intelligences ; dès qu’il est fait, une idée naît, et nul n’empêchera qu’une idée fasse son chemin. L’entendement humain peut se tromper dans les rapports qu’il établit entre des choses dissemblables ; nous croyons qu’il n’a pas tort de chercher d’instinct un lien entre les idées dirigeantes d’une époque, une harmonie entre les manifestations concomitantes de la vie, bref, l’unité de loi.

Il serait absurde de prétendre que la doctrine pastorienne apporte un appui rationnel à nos systèmes politiques et sociaux, à