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est devenu physiologiste, ce physiologiste a dû se faire médecin, et de son microscope est sortie une philosophie de la vie. La doctrine pastorienne s’est infiltrée dans les idées générales qui ont, en apparence, le moins de rapport avec les études biologiques. Son inventeur ne prétendait pas si loin ; mais consulte-t-on jamais un inventeur sur l’extension progressive qu’on donne à sa découverte ? Une grande doctrine scientifique ne reste pas longtemps confinée dans le laboratoire : elle s’échappe des matras et des cornues, elle déborde sur toutes les applications de l’esprit humain, elle marque de son empreinte une civilisation. Essayez de mesurer, dans l’ensemble de nos conceptions sur le monde et sur la vie, la part qui revient aux hypothèses universellement admises d’un Galilée et d’un Newton, aux hypothèses encore discutées d’un Darwin ; ni les spéculations des métaphysiciens ni les révolutions de la politique n’ont aussi profondément agi dans la pensée des hommes ; et, par suite, dans les transformations de nos sociétés. De même pour les hypothèses de Pasteur, plus rapidement vérifiées que celles de ses devanciers, puisqu’il pouvait faire la preuve expérimentale : elles sont déjà entrées dans l’histoire des idées ; et c’est par là qu’il nous appartient à tous.

Il disait, dans son discours de réception à l’Académie : « Vous avez voulu témoigner une fois de plus de l’impression profonde que le monde, les habitudes de la vie, les lettres à leur tour reçoivent de tant de découvertes accumulées. » — Non seulement une impression, mais une direction.

Toutefois cette direction ne peut s’exercer que sur des esprits déjà orientés dans le sens où elle les précipitera ; et c’est le cas de dire que le germe apporté par l’inventeur a besoin d’un milieu de culture favorable à son développement. Si grand qu’il soit, un homme n’est jamais qu’un anneau d’une chaîne. Il y a une harmonie préétablie entre les diverses manifestations de la pensée à une même époque. Comme l’écrivain de génie, le savant est à la fois un produit et un fabricateur des idées de son temps. Voici une doctrine qui proclame l’omnipotence des infiniment petits ; on l’imagine malaisément naissant et faisant fortune au siècle de Louis XIV, dans un groupe d’intelligences qui rapportaient tous les phénomènes de la nature et de l’histoire à de grandes causes simples, à des volontés particulières et souveraines. Réciproquement, on ne conçoit guère la possibilité d’un retour aux conditions intellectuelles et sociales du siècle de Louis XIV, après qu’une pareille théorie a envahi l’entendement.

Rattacher la doctrine pastorienne au mouvement général des idées et aux autres préoccupations de notre siècle, discerner ce