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IV. — AU PAYS DES VOLEURS. — LES CALLARS.

Un jour, à Pondichéry, par une resplendissante et chaude matinée de février, alors que peu d’Européens se risquaient dans les rues sous le soleil éclatant, le pousse-pousse du docteur R... s’arrêta devant ma porte qui s’ouvrit aussitôt. Le docteur revenait de Madura. Il avait vu le grand sanctuaire de la pagode sainte, dédiée à Çiva, la salle immense dont les mille colonnes de granit sculpté semblent les arbres d’une forêt géante et obscure, le gopuram inachevé, les galeries où des bas-reliefs admirables décrivent et la conversion du rajah Couna Pandya et les supplices des gourous hérétiques dont ce prince avait trop longtemps suivi les cérémonies, et il racontait avec enthousiasme ses impressions d’artiste au spectacle de tant de merveilles. C’est que, mieux que tout autre monument, l’imposante pagode célèbre, en la splendeur de son architecture et la richesse de ses ornemens, la victoire du çivaïsme renaissant et la fin du bouddhisme dans le sud de l’Inde.

Les miracles ne furent pas épargnés pour cette conversion. La guérison du rajah, tombé dangereusement malade, en fut l’enjeu. Des épreuves décisives attestèrent l’infériorité des doctrines bouddhistes. On écrivit sur des olles des mentrams ou des préceptes des deux cultes et on les jeta dans les eaux du Vaigay. Les olles où le poinçon avait tracé les maximes çivaïstes remontèrent le courant de la rivière jusqu’à un lieu qui fut appelé depuis Tirouvedaka, la loi sainte, et où Çiva en personne, sous les traits d’un vieillard, les ramassa pour venir les présenter au rajah. Celui-ci était quelque peu bossu : Çiva lui donna une stature magnifique et on ne l’appela plus que le beau Pandya. Là-dessus, huit mille bouddhistes avec leurs gourous furent exilés ou empalés. La vérité finit toujours par triompher de l’erreur.

Le docteur parlait avec ardeur de ce qu’il avait vu et m’engageait vivement à retournera Madura et à Ramasoueram, le rendez-vous des pèlerins pieux, avec sa pagode qui n’a pas moins de trois cents mètres de long sur plus de deux cents mètres de large. Il s’était arrêté à Dindigoul... Et là se plaçait l’incident le moins gai du voyage. A la gare, des Callars l’avaient adroitement débarrassé de sa sacoche où se trouvaient deux ou trois cents roupies. Fort heureusement pour le docteur, il avait un compagnon de route, M. de B..., capitaine de cipayes, qui mit sa bourse à son entière disposition.

Les Callars ou voleurs sont les restes d’une caste ou corporation dans laquelle le vol était en honneur. Ils sont très nombreux à Madura, à Trichinopoly et à Tanjore. Le rajah du petit État de