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Mais l’on peut se demander encore quelle devra être la matière de ce drame idéal, et quelles règles spéciales résulteront pour son action dramatique des conditions nouvelles où il aura à se produire. Une première règle en résultera directement : la nécessité de restreindre la matière de l’action dramatique au purement humain. Et du rôle particulier de la musique dans le drame, il résultera encore la nécessité pour le dramaturge nouveau de diriger son action beaucoup plus vers l’intérieur, vers le cœur et l’âme de ses personnages, que n’y était tenu l’auteur de drame simplement littéraire.

Mais en dehors de ces deux règles, dont la première seule a une valeur absolue, il n’y en a point d’autre qu’on puisse fixer avec rigueur. En essayant de préciser davantage la théorie de l’action dramatique, on courrait chance d’imposer des limites arbitraires et inutiles à l’infinie variété du génie créateur. C’est ce qui est arrivé à Wagner lui-même, dans son Opéra et Drame. Sous l’impression de son Anneau du Nibelung, qui l’occupait à ce moment, il a indiqué dans son livre comme nécessairement exigées par la définition du drame musical certaines limitations, — par exemple la suppression des chœurs, — dont il s’est lui-même dégagé dans ses œuvres suivantes. Et il y a encore maintes de ses observations, notamment sur l’emploi du mythe et de la légende, qu’il faut bien se garder de prendre pour des règles absolues. Le seul principe véritable du drame, lui-même l’a nettement formulé, en disant que « le drame devait revêtir sans cesse des formes nouvelles. »


VI

Ceci nous amène à une dernière question, fort importante, elle aussi, et encore plus difficile à résoudre : la question de savoir si nous sommes en droit de considérer les œuvres dramatiques de Wagner comme des exemples de ce drame dont il a exposé le plan dans ses écrits.

La question, à dire vrai, n’est difficile à résoudre que pour nous, et en raison de notre admiration pour ces œuvres magnifiques. Pour Wagner, la réponse n’avait rien d’embarrassant : ce n’est pas une fois, mais vingt fois, qu’il l’a formulée dans ses écrits. Et sa réponse était négative : il n’entendait nullement qu’on cherchât dans ses drames les exemples de sa théorie du drame.

Il ne se lassait pas de répéter que le drame, tel qu’il le rêvait, était « actuellement impossible ». Dans Opéra et Drame, il écrivait : « Personne ne peut être aussi clairement convaincu que