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L’audition des témoins cités par le ministère public avait duré du vendredi 23 juillet au mercredi 28 ; à l’ouverture de l’audience, le vendredi suivant, Wells Spicer prit la parole au nom de la défense. Il prononça un discours très travaillé, plein de réticences, et commença par passer assez légèrement sur les faits qui précédèrent le massacre, puis, quand il arriva au drame des Mountain Meadows, il s’écria que d’accord avec le ministère public, il pensait qu’il n’y avait pas d’expressions assez fortes pour stigmatiser, comme il convenait, un crime qui rivalisait avec tout ce que l’histoire pouvait offrir de pire comme perfidie et cruauté. Des Indiens avaient massacré le convoi et, malheureusement, parmi ces véritables bouchers, il y avait eu aussi des blancs obéissant à un mot d’ordre émanant d’une autorité si absolue et si redoutée que nul n’aurait songé à résister. L’orateur n’entendait pas, disait-il, envelopper toute la communauté dans une même réprobation; il admettait que, comme dans toute société, il y avait parmi les Mormons des bons et des méchans, mais le fait même pour les Saints du dernier jour d’habiter un pays frontière et constamment menacé, l’attrait du péril et de la vie d’aventure, de valent naturellement amener dans le sein de leur Eglise une foule de gens capables de tous les forfaits. A son avis, parmi les blancs qui avaient participé au massacre, il était deux catégories : ceux qui par pure férocité, au mépris des lois, et foulant au pied toute crainte, devinrent des assassins, puis ceux qui, soumis à l’abject esclavage sous lequel tous les sectateurs du prophète courbaient la tête, en tuant, obéirent à un cruel mandat qu’ils n’avaient pas osé repousser. Citant la Bible, il parla de peuples mis à mort par l’ordre de Dieu, mais il se hâta d’ajouter que jamais il n’aurait l’audace de laisser entendre que les meurtres commis aux Mountain Meadows eussent été perpétrés pour apaiser la colère céleste : il y avait assurément eu quelque autre motif, motif bien impérieux, qui avait contraint les coupables au crime. Quant à Lee, sa présence sur les lieux était incontestable, mais il n’existait pas un soupçon de preuve qu’il eût frappé une seule des victimes.

Expliquant les origines du drame, Spicer dit que les émigrans avaient été amicalement accueillis d’abord, mais que le convoi malheureusement était en grande partie composé de jeunes gens venus de l’Arkansas, trappeurs et chasseurs, dont la conduite avait fini par soulever l’animosité des habitans, déjà très montés par l’approche des troupes fédérales. Arrivés à la Corn Creek, les Arkansais eurent des difficultés avec les Indiens Pah-Vants, et de ces difficultés qui amenèrent une collision, résulta le massacre. Selon l’orateur, si les émigrans n’avaient pas eu maille à