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et qu’on a besoin de la légion pour ensevelir les victimes. — Il se trouve un seul homme assez crédule pour venir avec une pelle : on lui demande ce qu’il a fait de son fusil et on le renvoie en le traitant d’imbécile. Lorsque le régiment arrive à proximité du lieu du combat, les chefs, immédiatement, se rendent compte du danger qu’offrirait un assaut et de la nécessité de recourir à un siège en règle; mais ils ne sont pas inquiets, ils tiennent pour certain que, dénués d’eau, réduits à leurs propres ressources comme vivres, les Arkansais seront, à bref délai, forcés de se rendre. Quant à ceux-ci, ils ne se doutent pas encore des ennemis aux- quels ils ont affaire; ils pensent que ce ne sont que des Indiens, dont l’agression, bien que sans motif, n’est pas pour les surprendre outre mesure; ils ne se doutent pas que, mêlés aux Yutes, aux Soshones, il y a des blancs peints et vêtus comme ces Peaux-Rouges et qui, comme ces Peaux-Rouges, attendent impatiemment le moment de les égorger.

Bientôt la soif commence à se faire sentir dans le corral, et les Arkansais, dans l’espoir de toucher les cœurs de leurs sauvages ennemis, se hasardent à envoyer au puits voisin deux jeunes filles vêtues de blanc. A peine ont-elles fait quelques pas, qu’elles tombent mortellement frappées. Les assaillans font bonne garde ; un certain nombre, le doigt sur la détente, sont toujours prêts à saluer d’une balle de leur rifle quiconque se risquerait à se montrer hors de l’abri du retranchement, tandis que les autres, comme pour insulter aux angoisses des assiégés, occupent leurs loisirs, bruyamment, à jouer au palet, jeu fort en honneur chez les Indiens. Chez les émigrans alors, on agite la question de savoir s’il ne serait pas préférable de s’ouvrir un passage de vive force ; mais on y renonce promptement en songeant aux outrages, aux tortures que les Peaux-Rouges, s’ils sont victorieux, feront subir aux femmes, aux enfans, avant de les massacrer, de les scalper, et on finit par décider qu’on tiendra dans le retranchement jusqu’à la dernière extrémité avant de tenter une sortie désespérée.

Et pendant ce temps, John D, Lee s’inquiète, il redoute que le siège ne traîne en longueur ; il pense qu’il est urgent d’en finir ; il redoute que, la nouvelle de ce qui se passe venant à se répandre, les consciences ne se réveillent, peut-être, malgré la crainte qu’inspirent les hauts dignitaires de l’Eglise et n’exigent la délivrance du convoi. Il s’avise alors d’un exécrable stratagème.

Soudain, les assiégés voient s’avancer vers eux un groupe d’individus, en armes, au-dessus desquels flotte le drapeau américain : ils grimpent sur le retranchement, ils poussent des cris de joie, ils acclament leurs libérateurs! La petite troupe fait halte à