Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/855

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

non seulement les habitans refusèrent d’entrer en communication avec eux, mais l’ordre formel fut intimé au convoi de lever le camp et de poursuivre son chemin. Rien ne pouvait motiver une pareille conduite, ni une pareille exigence. L’abondance régnait dans la région ; la récolte venait d’être rentrée ; il était en outre du devoir du gouverneur Brigham Young de protéger ces émigrans respectueux observateurs des lois, qu’ils voulussent s’établir dans le pays ou qu’ils ne fissent que le traverser.

Forcés de se remettre en marche, les malheureux Arkansais suivirent la côte est du lac Utah pour tourner ensuite à l’ouest et se diriger vers Los Angelos, en Californie. Ils traversèrent un nombre assez considérable d’établissemens dans un état florissant; ils passèrent successivement à American Fork, Battle Greek, Provo, Springville, Spanish Fork, Payson, Salt Creek et Fillmore. Partout ils demandèrent à acheter des vivres et du fourrage, offrant de payer ce qui serait exigé; ils se heurtèrent partout à des refus brutaux et grossiers. Personne ne voulait communiquer avec eux, ni leur vendre quoi que ce fût; un mot d’ordre avait été donné que nul n’osait enfreindre. Il se trouva, cependant, trois ou quatre Mormons, moins fanatiques, ou plus charitables et plus braves, ou plus avides de gagner de l’argent, qui, furtivement la nuit, s’introduisirent dans le camp avec le peu de vivres qu’ils pouvaient porter sur leurs épaules. Ce fut tout ce que purent se procurer les émigrans jusqu’à leur arrivée à la Corn Creek, où ils dressèrent leurs tentes proche de celles de quelques Indiens Pah-Vants qui, plus généreux que les blancs, consentirent à céder une trentaine de bushels de grain. Le bushel ne représente guère que 36 litres 1/4; c’était une quantité bien minime; d’autre part, il devenait urgent de trouver du fourrage pour le bétail et les animaux de trait. Le chef de la milice de l’Utah du sud, que les émigrans rencontrèrent à la Corn Creek et auquel ils demandèrent avis, leur conseilla de se rendre aux Mountain Meadows.

Suivant la direction indiquée, ils passèrent à Beaver, à Parowan, dont l’entrée leur fut refusée, et contraints, par suite, d’abandonner la route tracée, ils passèrent à l’ouest du fort, et vinrent camper sur les bords de la rivière. Là encore, ils s’efforcèrent vainement de s’approvisionner.

A Cedar City, qu’ils atteignirent le lendemain, ils furent autorisés à acheter cinquante bushels de blé provenant de la dîme payée à l’Eglise, mais c’était absolument insuffisant pour les 70 jours de route qu’ils avaient encore à parcourir, et la perspective de périr par la famine, avant d’atteindre San Bernadino, en Californie, menaçait de s’affirmer inéluctable. Les attelages étaient