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cette race éminemment sociale l’honneur est tout ; ils lancent des flèches contre l’océan, ils marchent l’épée en main contre le ciel; souvent ils s’obstinent à rester sous un toit embrasé, par parade de courage. Qui n’a pas lu les pages où Michelet nous les montre, pour quelque argent, pour un peu de vin, s’engageant à mourir? Ils montaient sur une estrade, distribuaient à leurs amis le vin et l’argent, se couchaient sur leurs boucliers et tendaient la gorge.

D’accord avec César, Strabon nous dit, dans une peinture devenue classique, que le caractère commun de cette race est d’être « irritable », folle de guerre, prompte au combat, « du reste simple et sans malignité ». Si on excite ces hommes, « ils marchent droit à l’ennemi et l’attaquent de front, sans s’informer d’autre chose. Aussi, par la ruse, on en vient facilement à bout. On les attire au combat quand on veut, où l’on veut; peu importent les motifs, ils sont toujours prêts, n’eussent-ils d’autres armes que leur force et leur audace. » Toutefois, « par la persuasion, ils se laissent facilement amener aux choses utiles ». Insupportables comme vainqueurs, « ils tombent dans l’abattement s’ils sont vaincus. » Spontanés, conclut Strabon, irréfléchis, le sens politique leur fait défaut dans leurs entreprises. Flavius Vopisque appelle les Gaulois le peuple le plus turbulent de la terre, toujours impatient de changer de chef et de gouvernement, toujours à la recherche des plus périlleuses aventures.

Avec ce caractère passionné et emporté, les Gaulois ne pouvaient avoir ni le goût de la discipline, ni l’amour de la hiérarchie. Peu disposés à sacrifier leur bon plaisir, ils avaient l’instinct égalitaire. Les privilèges mêmes de l’aînesse leur furent toujours odieux. Chez eux, les parts étaient égales entre frères, « comme également longues leurs épées ». En Germanie, on égalisait aussi les épées, mais l’aîné nourrissait ses frères, contens de garder leur place hiérarchique à l’indivisible foyer. Chez les Celtes, la loi de succession égale imposait à chaque génération un partage, entraînait un bouleversement continuel des propriétés, une révolution éternelle. C’était aussi l’occasion d’une infinité de disputes et de haines. Les différens peuples celtiques, le plus souvent jaloux entre eux, n’avaient pas le talent de centraliser leurs forces contre l’ennemi commun; ils se laissaient vaincre l’un après l’autre pour n’avoir pas su marcher l’un avec l’autre. On a beaucoup reproché aux Celtes cette anarchie, cette impuissance à fonder un État uni. Mais il ne faut pas exagérer, comme on le fait d’habitude, ce contraste avec les Germains et avec les Latins. Ne trouve-t-on pas chez les vieux Germains la même anarchie ? Les « princes » germains sont des chefs élus en raison de leur force