historique, vague par elle-même, s’énonçant plus vaguement encore; sous ces phrases superbes, l’idée finit par s’éteindre, si jamais elle y a scintillé; ou du moins, pour discerner et attraper l’étincelle, il est bon d’avoir passé par la loge avant de s’acheminer vers la tribune.
Entre l’allégresse clairement énoncée des patriotes et l’allégresse pompeusement affichée des « libres-penseurs », quelle position a prise le ministère? C’est à l’inauguration du monument de Garibaldi qu’on l’attendait. Pour les uns comme pour les autres, le grand Giuseppe est un ancêtre respecté : M. Crispi pouvait exalter, en lui, l’héroïsme de la vie; il pouvait exalter, aussi, cette indépendance de la raison qui, chez Garibaldi, suppléait à la culture. Il s’est épargné la peine de choisir, en ne parlant presque point de Garibaldi.
« Le christianisme, divin de sa nature, n’a pas besoin de canons pour exister... Le christianisme, avec la parole de Paul et de Chrysostome, a pu, sans l’appui des armes temporelles, conquérir le monde... L’Evangile, nous le croyons, est la vérité... Le vicaire du Christ sur la terre est fait pour prêcher la paix, pour absoudre les fils d’Adam, avec la prière et avec le pardon... La religion n’est pas et ne doit pas être fonction d’Etat... La religion réconforte les croyans par l’espérance d’un avenir éternel ; elle nourrit l’esprit dans la foi, et par là la religion est sainte. » Ces édifiantes réflexions sont extraites du discours de M. Crispi. Et s’élevant ex abrupto au-dessus du ton de l’homélie, il a fini par dire : « Qui oserait s’imposer à Dieu? » On ne croyait pas entendre le ministre d’un état laïque.
M. Crispi déconcerte toutes prévisions : c’est par là qu’il maintient intact le prestige de sa puissante originalité. Si un seul homme pouvait deviner ce que M. Crispi dira ou fera demain, cet homme aurait le cerveau fait comme lui; M. Crispi cesserait d’être unique. Or il veut être unique. Il n’est pas de ces ministres rassis, classiques de la politique, qui veulent, au jour le jour, laisser voir et palper par l’opinion la suite de leurs idées, la cohérence successive de leurs plans, et qui conçoivent leur carrière comme une correcte pièce en cinq actes. Francesco Crispi semble avoir bâti sa vie comme une pièce à tiroirs. Il procède par à-coups; mais ces à-coups ne sont pas des coups de tête. Comme le Dieu de Leibnitz avait aperçu d’avance la série des mondes qu’il pourrait créer, ainsi M. Crispi, en passant de la cave du conspirateur dans le cabinet de l’homme d’État, s’est à l’avance