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membres de la presse indigène ont cru voir que le palais Caffarelli, habité par le représentant de Guillaume II, avait, lui aussi, pris un air de fête : hallucination singulière, et frappant indice de la place que tient l’Allemagne dans certaines imaginations italiennes ! le vieux palais Caffarelli n’avait d’autre pavoisement que sa tapisserie de lierre.

Les députés du Centre, qui applaudissaient à Munich, au mois d’août, un fort habile discours en faveur de la liberté du pape, seront reconnaissans à leur empereur de l’abstention qu’il a commandée. Il est vraisemblable qu’au Vatican l’unanime discrétion avec laquelle la diplomatie européenne a battu en retraite à l’occasion du 20 septembre aura fait plaisir, La question romaine est une de ces questions que les ambassadeurs n’aiment pas poser ; mais ils aiment encore moins entendre dire qu’elle est résolue : on a vu cela au congrès de Berlin, et les chancelleries, en 1895 , attachent trop de prix à l’amitié de Léon XIII pour risquer de lui déplaire gravement.

Dans une élégante plaquette parue peu de temps avant les fêtes, M. Carlo Gatti prévoyait que « la fleur de toute l’Europe viendrait, en représentation officielle[1] », commémorer la brèche. C’était l’instant où l’on attendait M. Mommsen, à défaut de son souverain : l’illustre historien de la première Rome s’est excusé.

Au Quirinal, où l’on a de l’esprit et de l’expérience, où l’on sait, par exemple, combien il en coûte au religieux empereur d’Autriche de marchander une visite à son royal allié, on a su comprendre, une fois de plus, les nécessités de convenance auxquelles l’Europe devait déférer, et l’on a disposé les fêtes du 20 septembre comme une manifestation en famille. Mais la « démocratie », second membre de la famille, s’est moins promptement consolée. Pour les hommes de tumulte à qui parfois on en laisse usurper la direction, c’est une maxime d’aller faire une scène devant l’ambassade de France lorsqu’ils sont en colère contre le Pape, et d’aller faire une scène devant l’ambassade d’Autriche lorsqu’ils sont en colère contre l’étranger : la République française devient ainsi le bouc émissaire du « cléricalisme », et la Monarchie apostolique devient le bouc émissaire de l’Europe. On a sifflé, le 20 septembre, et fortement sifflé, devant les fenêtres de l’ambassade autrichienne : le palais Chigi, pourtant, n’avait fait qu’imiter la nudité du palais Caffarelli. Ces effervescences d’une foule quotidiennement aimable, et qui n’est hargneuse que par crises, intéressent la diplomatie plus qu’elles

  1. Carlo Gatti, Roma per il suo 25e anniversario di vita libera, p. 95 (Florence, Bocca).