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un discours très violent. On raconte aussi qu’au moment où la députation des Triestins, — car si on a pu leur interdire de célébrer le 20 septembre chez eux, on n’a pas pu les empêcher d’aller le célébrer à Rome, — au moment donc où la députation des Triestins déposait sur la tombe de Victor-Emmanuel une couronne avec cette inscription : « A leur roi regretté, Trieste et l’Istrie! » M. Villa, président de la Chambre des députés, qui visitait le Panthéon, a demandé qu’on lui présentât les délégués. « Je me réjouis avec vous, leur a-t-il dit, de l’hommage rendu au grand roi. J’ai toujours éprouvé un sentiment chaleureux pour l’italianité de Trieste, C’est mon ardent désir que vos vœux s’accomplissent. » Un tel langage, dans la bouche du président de la Chambre des députés, a une portée qui n’échappera à personne. Au reste, les manifestations du même genre se sont multipliées, et il deviendrait difficile de les raconter toutes. Parfois, elles ont pris un caractère nettement républicain. Mais, de toutes, les plus significatives sont celles qui se sont produites devant le palais Chigi, où siège l’ambassade d’Autriche. Le 21 septembre, lorsque le long cortège qui venait de quitter la Porta Pia a défilé devant l’ambassade, toutes les bannières se sont abaissées en même temps comme si elles obéissaient à un mot d’ordre, en même temps que se faisaient entendre des salves de sifflets. Les fêtes populaires ont cela de précieux, mais aussi de dangereux, qu’elles font jaillir avec force les sentimens que la diplomatie comprime au fond des cœurs. Et c’était bien là le péril du 20 septembre, péril que M. Crispi avait, dès le premier moment, entrevu, mais qu’il se faisait fort de conjurer. On voit qu’il n’y a qu’assez imparfaitement réussi.

Au reste, l’incident le plus curieux a été le discours que M. Crispi lui-même a prononcé au pied de la statue de Garibaldi. L’inauguration de ce monument a été, si on nous permet d’employer ce mot vulgaire, le clou de toutes ces fêtes. Elle a réussi admirablement. Le temps était splendide. L’enthousiasme était à son comble. M. Crispi, qui est un des derniers survivans des grandes luttes et qui a gardé dans son caractère quelque chose de ce qu’elles ont eu d’aventureux, de hardi, de brutal, enfin de très mélangé, M. Crispi était en quelque sorte désigné pour prendre la parole. Il l’a fait, mais, de l’aveu de tous, son discours a causé une grande déception. Un thème admirable s’offrait à lui : qui ne l’aurait applaudi s’il s’était borné à le développer? Pourquoi ne s’est-il pas contenté de glorifier la patrie italienne, de mesurer l’espace parcouru, le progrès accompli depuis vingt-cinq ans ? Il aurait fait vibrer tous les cœurs, même au delà des Alpes, s’il avait montré l’Italie ayant pris place désormais au rang des grandes puissances, étendant glorieusement son domaine colonial, participant à toutes les grandes choses qui se font dans le monde, et sûre enfin de son avenir autant qu’elle est fière de son passé. On lui aurait su gré