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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



30 septembre.


La principale préoccupation de l’esprit public depuis quelques jours est venue de Madagascar. Les journaux ne parlent guère que de notre expédition, et il n’est pas un lointain village où elle ne soit l’objet de toutes les conversations. Nous vivons dans un temps où la perméabilité des masses populaires les plus profondes fait des progrès prodigieux. Les nouvelles de l’autre bout du monde se répandent partout avec une rapidité dont on ne pouvait, il y a quelques années encore, se faire aucune idée. Il est vrai qu’elles y arrivent assez souvent déformées par les milieux divers qu’elles ont si rapidement traversés, et par les miroirs plus ou moins fidèles qui en ont renvoyé l’image. L’importance relative des objets change quelquefois du tout au tout. On n’imaginerait pas combien les détails qu’on nous donne, avec une singulière abondance, sur l’agonie et la mort d’un pauvre petit soldat, ou même d’un malheureux porteur somali, émeuvent la sensibilité des lecteurs. Et cela est triste, assurément. Mais enfin, lorsqu’on entreprend une expédition militaire, ne faut-n pas s’attendre à des accidens de ce genre ; et les récits trop appuyés dans lesquels se complaisent les correspondans des agences et des journaux constituent-ils une littérature bien saine ? On sent un peu trop chez eux, soit dit sans les offenser, l’habitude des romans-feuilletons. Les petites choses finissent par couvrir complètement les grandes. Et malheureusement, dans un pays où tout le monde lit, mais non pas depuis bien longtemps, et où les impressions littéraires sont d’autant plus vives qu’elles sont neuves et qu’elles restent confuses, il s’établit une corrélation intime entre le chroniqueur et le lecteur. Ce dernier est légion ; il se confond avec le suffrage universel tout entier. On croirait vraiment, à voir le degré d’excitation, puis d’énervement, où est arrivée l’opinion publique, qu’une campagne à Madagascar avait été considérée à l’origine comme un simple jeu. Évidemment, il y a de la déception, de la désillusion, autant que de l’irritation, dans le sentiment qui se manifeste aujourd’hui partout. Eh quoi ! nous