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LE LIVRE ANGLAIS
ROBINSON CRUSOÉ

Les dernières élections aux Communes d’Angleterre ont été pour toutes les personnes attentives un grand sujet de réflexions. Ce peuple, nous disait-on depuis longtemps, subit comme les autres le mal du siècle ; sous des apparences de stabilité, il est désagrégé par la crise de transformation sociale qui travaille les nations européennes; il nous réserve des surprises, il nous apparaîtra, lui aussi, en rupture de tradition. — Les événemens ne se hâtent pas de justifier ces pronostics. Le peuple anglais a manifesté une fois de plus son esprit de conséquence et de conservation. Au milieu de nos flottes portées à la dérive sur des mers inconnues, ce vieux vaisseau gouverne, tient sa route, lutte contre le vent. D’autres louvoient et se maintiennent, uniquement parce que le coup de barre du pilote contrarie à temps la manœuvre d’une partie de l’équipage ; celui-là avance par l’effort calculé de l’équipage, prompt à tous les changemens de manœuvre que commande la boussole. Cette boussole est la volonté accumulée des morts. Rare spectacle, le gouvernement d’une audace vivante subordonnée à la volonté des morts.

On voudrait avoir un bon traité de psychologie historique sur un peuple si intéressant; et l’on souhaiterait que ce ne fût pas un ouvrage de philosophie didactique, monstre toujours redoutable. Ce traité existe, nous l’avons tous lu dès le premier âge : c’est le Robinson Crusoé.

Dans le temps que les élections anglaises occupaient notre attention, et comme je me demandais auquel de ses grands livres cette race a le mieux confié son secret de force, le hasard mit sous ma main une traduction du chef-d’œuvre de Daniel de Foë par Petrus Borel le Lycanthrope. C’est une nouvelle aventure de