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de goûts et d’idéal. Il est impossible de n’en pas tenir compte.

Nous aurons à voir si, à ces différences dans les origines et les conditions des deux révolutions, ne correspondent pas d’autres différences dans leurs effets et leur portée. Pour l’instant, toute discussion à ce sujet serait prématurée. Mieux vaut étudier en lui-même le mouvement contemporain.


V

Dans l’ordre matériel, les progrès sont indiscutables. Ce pays, qui en 1870 n’avait que des chemins médiocres, voit aujourd’hui ses provinces les plus reculées, et Yezo même, son Algérie, sillonnées de bonnes et larges routes, que parcourent les voitures publiques. Une grande ligne de chemins de fer traverse l’île principale dans toute sa longueur. Des embranchemens s’y rattachent dont les trois principaux relient les deux mers. A Yezo et à Kiou-Siou, d’autres lignes unissent entre eux les principaux centres. En douze ans, le parcours exploité a décuplé : il atteignait 1 900 milles anglais à la fin de 1893. Et ce ne sont pas, comme l’ont cru des touristes trop spirituels, de dangereux joujoux créés pour la joie et l’ébahissement des populations. Les bénéfices réalisés sont la meilleure preuve du contraire : ils feraient envie à bien des sociétés européennes. Ce succès des chemins de fer n’a d’ailleurs pas empêché le nombre des voitures et chariots de tripler depuis dix ans.

Le réseau télégraphique s’est développé dans les mêmes conditions, et on est surpris de voir que les habitans en aient si vite apprécié l’usage. Les services postaux fonctionnent d’une façon très satisfaisante même pour des Occidentaux et prennent d’année en année un accroissement analogue. La progression est d’ailleurs aussi constante pour les lettres que pour les journaux et imprimés, pour les relations intérieures que pour les relations internationales. Une centaine de chaloupes à vapeur et plus d’un millier de grands voiliers de forme japonaise sillonnent constamment les fleuves, les canaux et les lacs. Les radeaux sont plus nombreux encore. Les principaux ports voient se succéder sans interruption les navires étrangers ou indigènes. Aussi les importations sont-elles montées de 53 millions de francs en 1868 à 174 millions en 1880, 260 millions en 1888, et 300 en 1893. Les exportations ont suivi le même mouvement ascensionnel, avec des chiffres un peu plus élevés.

Est-ce là, comme on a donné à l’entendre, une prospérité