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de cette même civilisation était tout autre que l’admiration.

A côté de ces analogies, on doit marquer bien des différences entre les deux révolutions. Celle du VIe siècle s’opérait chez un peuple enfant, tout prêt à s’ouvrir aux premières impressions du dehors : aujourd’hui le Japon possède tout un passé illustre, une masse énorme de traditions, de croyances, de préjugés difficilement conciliables avec les nôtres, un idéal différent de l’idéal européen. En revanche, il est vrai, le Japonais contemporain a des besoins moraux et un développement intellectuel qui manquaient à ses ancêtres. D’autre part, ceux-ci furent emportés jadis par le moteur le plus puissant peut-être des actions humaines, l’enthousiasme religieux. Qui pourrait dire de combien de siècles eût été reculé l’avènement de la civilisation japonaise sans l’impulsion qu’il leur donna? Or ce mobile semble bien faire défaut aujourd’hui. Au XVIe siècle, le christianisme parut quelque temps appelé aux plus brillantes destinées sur la terre japonaise. Les missionnaires virent accourir à eux par milliers les indigènes de toutes classes : paysans, samouraï et daïmios. Pour faire pièce au clergé bouddhiste, le chef du pouvoir lui-même les favorisa. Mais ces premiers succès ne durèrent pas. Par suite d’un revirement encore mal expliqué, le gouvernement donna ordre aux missionnaires de cesser leurs prédications. Ils résistèrent et provoquèrent ainsi une affreuse persécution. Leurs néophytes furent exilés ou massacrés. On put croire que tous les germes de la foi nouvelle étaient étouffés.

Lorsque les missionnaires, après les événemens de 1854, reparurent au Japon, ils y retrouvèrent les traces des conversions anciennes et conçurent les plus hautes espérances. Depuis lors il a fallu bien en rabattre. Ce n’est pas que le gouvernement continue à les persécuter : bien au contraire, il les encourage et leur accorde des facilités d’établissement qu’il refuse aux négocians. Mais la prédication glisse sur la population indigène comme l’eau sur le marbre, sans la pénétrer. Les classes supérieures ne voient dans le missionnaire catholique ou protestant qu’un professeur de langue anglaise ou française, de sciences ou de lettres. Si on écoute son enseignement religieux, c’est comme une superfluité qu’il faut subir par surcroît. Quant aux classes inférieures, elles restent bouddhistes. On compte au Japon moins de cent mille chrétiens. Qu’est-ce sur une population de quarante millions d’habitans?

Enfin, au VIe siècle, la civilisation qu’empruntait le Japon était celle d’un peuple de même race. Or cette communauté d’origine implique une certaine analogie de tempérament, de besoins,