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de l’empire que nous venons de décrire, un régime féodal vieux déjà de plusieurs siècles. On sait comment, de ce contact avec les Européens, sortit, trois siècles plus tard, une révolution politique et sociale qui dure encore. Nous n’entreprendrons ni de peindre la féodalité japonaise, ni de raconter l’accueil fait aux Européens et l’histoire du Japon de 1542 à 1854. Ces faits ont été racontés ici même dans des articles auxquels on peut aisément se référer.

Les supposant connus, nous comparerons brièvement, ainsi que nous l’avons annoncé, la révolution du VIe siècle à celle d’aujourd’hui.

On peut remarquer tout d’abord qu’aux deux époques les Japonais ne sont venus ni immédiatement, ni directement à la civilisation étrangère. Lorsque le prince Shotokou-Taishi triompha, comme on a vu plus haut, leurs rapports avec le continent asiatique duraient depuis six siècles, sans que la supériorité de la civilisation chinoise les eût séduits. Et ce ne fut pas, au VIe siècle, cette supériorité qui les lança dans l’étude des livres chinois : ce fut le désir tout religieux de mieux connaître l’enseignement du Bouddha. De même, après avoir, au XVIe siècle, largement ouvert leurs portes aux hommes de l’Occident, ils les fermèrent brusquement, et, durant près de deux cents ans, les progrès de la civilisation occidentale au Japon furent à peine sensibles. Il fallut les événemens de 1854 à 1868 pour les pousser dans la voie nouvelle. On sait qu’en 1854 leur gouvernement ne négligea rien pour empêcher les Occidentaux de pénétrer sur son territoire. Il ne fut pas le plus fort et dut signer des traités qui étaient aux Japonais deux des prérogatives les plus importantes de la souveraineté : la liberté douanière et la juridiction sur les étrangers. Comment rompre ces traités? On essaya d’abord de la ruse et de la violence, mais vainement. Il parut aux Japonais que le seul moyen de recouvrer leur indépendance était de reconstituer leurs forces de guerre pour être en mesure de saisir un jour la première occasion favorable. Tel fut le premier moteur de la révolution moderne. L’occasion rêvée tardant à se présenter, ils négocièrent. Mais on leur opposa toujours l’infériorité de leur justice. Pour lever l’objection, ils modifièrent leurs lois et réorganisèrent leurs tribunaux. Par cette porte ouverte toutes nos institutions ont fini par pénétrer dans la place. Aujourd’hui les classes dirigeantes reconnaissent la valeur propre de la civilisation occidentale. Beaucoup l’admirent, sinon en totalité, du moins dans telle ou telle de ses manifestations. Mais il est certain qu’il y a quarante ans le sentiment général du pays à l’égard