Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/654

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

proches parens et les serviteurs des coupables sont dispensés de cette obligation. La dénonciation d’un ascendant ou d’un frère aîné est même prohibée et punie. L’aveu du coupable entraîne son absolution, s’il est intervenu avant la découverte du crime. Le juge s’éclaire surtout par l’interrogatoire de l’accusé et la déclaration des témoins. Sur ce point encore, la loi manifeste une mansuétude et un souci de la justice remarquables : elle dispense de l’obligation de porter témoignage les enfans, les malades, les vieillards de plus de 70 ans, les proches parens de l’accusé et ses esclaves.


III

Ce n’est pas sans surprise que, jetant un coup d’œil en arrière, nous mesurons le chemin parcouru en moins de deux siècles, c’est-à-dire depuis l’introduction du bouddhisme jusqu’à la rédaction des codes de Mommou-Tenno. La transformation n’était pas seulement apparente et superficielle. Partis de l’état sauvage ou peu s’en faut, les Japonais s’étaient approprié le meilleur de la civilisation chinoise. Si leurs progrès sentaient l’imitation, faut-il s’en étonner? Comme les Gaulois, les Germains et les Russes, les Japonais devaient commencer par imiter. Mais les institutions nouvelles n’allaient pas tarder à se développer et se modifier pour donner lieu à une civilisation originale.

Insistons sur ce point de vue. A bien des égards, le Japon n’est pas resté à la remorque de la Chine. Il a gardé quelque chose de son ancienne physionomie, de ses coutumes et de ses croyances. La transplantation d’une plante étrangère sur le sol japonais devait produire des fruits d’une saveur particulière.

Les Japonais possédaient-ils, avant de connaître les Chinois, une écriture propre? C’est fort peu probable et tout à fait inconciliable avec les documens de Ma-touan-lin. Quoi qu’il en soit, il est certain qu’au VIIIe siècle les caractères idéographiques des Chinois régnaient sans partage.

On sait sans doute que cette écriture offre, entre autres inconvéniens, ceux de développer la mémoire au détriment de la raison, de manquer de souplesse pour traduire les nuances de la pensée, et surtout de mettre obstacle à la diffusion des connaissances. Aristocratique entre toutes, elle crée entre les lettrés et le peuple un fossé infranchissable. C’est pourquoi, dès le IXe siècle, les Japonais furent amenés à imaginer une écriture syllabique composée de 47 signes, c’est-à-dire relativement très simple. Si celle-ci n’a pas détrôné chez eux l’écriture chinoise, elle permet du