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I

Il convient, pour faire comprendre les événemens que nous allons exposer, d’en bien marquer le point de départ, c’est-à-dire de déterminer l’état de civilisation atteint par les Japonais quand ces événemens commencèrent.

A lire leurs annales, il semblerait que le Japon n’a jamais connu la barbarie. Elles nous parlent des premiers souverains du pays comme Anquetil parlait du roi Pharamond, de son palais et de sa cour. Il ne faut pas s’en étonner. Ces annales, dont les premières remontent à 720, c’est-à-dire à une époque où les Japonais étaient depuis longtemps en contact avec la Chine, furent rédigées sur le modèle des annales chinoises, copiées trop servilement. Aussi n’ont-elles, pour le sujet qui nous occupe, qu’une valeur minime. Heureusement des renseignemens plus sûrs nous sont fournis sur le Japon primitif par un auteur chinois, Ma-touan-lin, qui, dans une sorte d’encyclopédie, a littéralement transcrit des documens d’une authenticité incontestable. Ces documens contiennent notamment des descriptions de l’ancien Japon fournies soit par des voyageurs chinois, soit par des ambassadeurs japonais à la cour de Chine.

Les premiers rapports des Japonais avec la Chiné et la Corée paraissent remonter au premier siècle avant Jésus-Christ. Ils ne tardèrent pas à devenir fréquens. Mais comme ils se résumaient dans un échange d’ambassades avec la Chine et dans une suite d’incursions plus ou moins heureuses en Corée, la civilisation japonaise n’y pouvait beaucoup gagner. Les Chinois avaient alors sur les Japonais, à tous égards, une supériorité comparable à la supériorité des Romains sur les Germains, ou des Français du XVIIe siècle sur les Moscovites,

La Chine était certainement à cette époque un pays extrêmement policé. Elle connaissait l’écriture depuis plus de dix siècles. Ses grands philosophes avaient dégagé les principes sur lesquels repose encore maintenant la société chinoise ; ses artistes avaient découvert la plupart des procédés et des formes esthétiques propres à l’Extrême-Orient. Elle avait ses historiographes, ses poètes, des législateurs pleins de sagesse, un système administratif presque trop savant. Tous ces élémens lui composaient une civilisation déjà vieille et très accentuée. La Corée subissait entièrement l’influence politique et l’ascendant moral de ses puissans voisins. Les Japonais, au contraire, n’étaient pas encore sortis de l’état barbare. On voit, par les descriptions que nous transmet Ma-touan-lin, qu’ils vivaient de chasse et de pêche, soupçonnant