voit point passer la personne d’Ibsen dans Maison de poupée. Et qui dira que ce ne soit pas là l’une des raisons de leur succès? On était fatigué des « confessions » des enfans du siècle. Ils avaient abusé du droit de nous conter leurs expériences amoureuses. Nous savions bien qu’il y avait de pires infortunes que celle d’Olympio. Mais nos classiques aussi le savaient, et qu’il y a plus que de l’impolitesse, qu’il y a, comme ils disaient, de l’ « incivilité » à ne toujours parler que de soi! Si les étrangers s’en sont aperçus à leur tour, et, jusque dans les littératures qui passaient à bon droit pour les plus « individualistes », si l’on a vu le Moi perdre de son importance, est-ce à nous de nous en plaindre? Et encore ici quel danger veut-on que coure l’ « esprit français » à redevenir ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être?
Mais lorsque l’on donne à l’art un autre objet, plus généreux, moins égoïste, que de manifester la virtuosité de l’artiste ou la personnalité de l’individu, s’il faut nécessairement alors qu’on en arrive à se préoccuper des questions sociales, qu’y a-t-il, encore et toujours, de plus classique et de plus français? Rien, à la vérité, ne paraissait plus ridicule aux Flaubert et aux Baudelaire, que je suis bien obligé de nommer encore, puisque c’est eux que l’on réclame ou que l’on avoue pour maîtres. Le triomphe de l’art consistait à leurs yeux dans la revendication de son inutilité même. Indifférens et comme étrangers au reste de l’humanité, les questions qui nous intéressent et qui font pour ainsi dire la trame de la vie quotidienne, n’existaient pas pour eux. Ils marchaient dans une ivresse d’orgueil qu’ils prenaient pour un rêve de beauté. Mais, précisément, dans les « littératures du Nord » le talent et le génie ne se sont employés depuis tantôt un demi-siècle qu’à soutenir des « thèses ». Oui, c’est une « thèse » qu’Adam Bede. Si jamais pièce eut l’intention déclarée de prouver quelque chose, c’est le Canard sauvage. Et quelle « thèse » encore plus évidente que celle de la Sonate à Kreutzer? Autre raison du succès des « littératures du Nord ». Tolstoï a si peu méprisé ses lecteurs qu’il a voulu les rendre juges, même de ses idées les plus particulières. Autant qu’un dramaturge Ibsen est un moraliste. Et ferai-je tort à George Eliot en disant que tel de ses. romans n’est qu’une prédication positiviste? Toute cette littérature est « sociale » et au besoin « socialiste ». Mais en prenant ce dernier mot comme il est toujours permis de le prendre, — pour l’opposer au mot d’« individualiste » ou d’« égoïste, » — n’a-t-on pas vu, n’avons-nous pas vu que l’on n’en saurait appliquer de plus juste à notre littérature? Ne sont-ce pas des « thèses » que les tragédies de Corneille, son Horace ou son Polyeucte? et les comédies de Molière, son Tartufe ou ses Femmes savantes? Mettrai-je ici les Provinciales