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intitulé : les Raisons des forces mouvantes, imprimé à Francfort en 1614, puis à Paris en 1624.

Salomon de Caus (c’est-à-dire originaire du pays de Caux, près Dieppe) était un habile homme, ingénieur du roi et architecte, fort instruit, de grande réputation en son temps, mort à Paris du temps de Louis XIII. On lui a forgé, en 1834, une légende imaginaire, échafaudée sur une fausse lettre de Marion de Lorme, d’après laquelle il aurait inventé la machine à vapeur et été enfermé comme fou à Bicêtre. Cette légende, hâtons-nous de le dire, n’a aucun fondement. Plus heureux que Papin, Salomon de Caus a vécu considéré et chargé d’entreprises profitables, par la faveur des princes; il savait les servir d’une façon efficace. C’est lui qui a décoré le parc du prince de Galles, à Richemond, et les admirables jardins de l’électeur à Heidelberg. Il connaissait l’art d’élever et de diriger l’eau, pour lui faire produire des arrosemens, des jets d’eau, des sources et des cascades. Dans son ouvrage intitulé : les Raisons des forces mouvantes, résumé de ses connaissances sur l’art d’élever l’eau, il indique en passant, comme l’un des artifices praticables : « l’aide du feu, dont il se peut faire par diverses machines. » Il rappelle d’abord, comme un fait bien connu, qu’une boule close, remplie d’eau et mise sur le feu, ne tarde pas à crever avec explosion ; puis il cite, comme exemple particulier de la force de la vapeur pour élever l’eau, l’emploi d’une boule de cuivre, avec orifice latéral pour introduire l’eau, et tuyau vertical, soudé à la partie supérieure; l’un et l’autre pourvus d’un robinet. En mettant la boule sur le feu, l’eau montera par le tuyau : le tout avec figure à l’appui. Il est clair qu’il s’agit ici d’un principe et d’un appareil schématique, comme nous disons aujourd’hui, plutôt que d’une machine utilisable sous cette forme même dans la pratique. Salomon de Caus était un ingénieur trop rompu aux difficultés de celle-ci, pour ne pas voir les imperfections d’un appareil aussi primitif.

Quoi qu’il en soit, il ne paraît pas moins certain que c’est là le plus ancien énoncé, clair et formel, du principe de la force élastique, sur lequel repose la machine à vapeur. Il n’était guère d’ailleurs possible d’aller plus loin, à une époque où l’on ignorait les lois mêmes de l’élasticité de l’air, ainsi que de celle de la vapeur d’eau, les lois de la détente, enfin la possibilité de réaliser le vide et le rôle de la pression atmosphérique.

Que dire à cet égard du marquis de Worcester, pour lequel on a souvent revendiqué la gloire d’avoir inventé la machine à vapeur? C’était, d’après Walpole, son contemporain, un mécanicien de pure fantaisie, infatué d’idées chimériques, qu’il a consignées dans un ouvrage intitulé : A century of inventions (1663).