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de l’eau et à la marche des chariots et des navires. On reviendra tout à l’heure avec détail sur ce mémoire, œuvre principale de Papin. Cependant il s’agissait toujours de projets, ou de modèles en petit : l’exécution en grand eût exigé des études nouvelles et présenté des difficultés que Papin semblait à peine soupçonner. C’est ainsi qu’il exprime la surprise de voir le prince adopter d’autres appareils que les siens, appareils plus pratiques sans doute, pour faire monter l’eau de la Fulda au sommet des tours de son château et arroser les jardins. Une machine d’épuisement, construite sous la direction de Papin par l’ordre du landgrave, fut malheureusement emportée par les glaces de la Fulda, La proposition de sa pompe balistique pour lancer les grenades à 90 pas, faite successivement au landgrave, à la Hollande, au Hanovre, à l’Angleterre, fut refusée de tout le monde, comme inférieure aux procédés connus de l’artillerie : on croirait lire l’aventure d’un inventeur de notre époque. Pendant ce temps, Papin ne cessait de présenter au landgrave des projets nouveaux, de lui demander les ressources nécessaires à leur exécution, de se plaindre de ses collègues, envieux du bruit que faisaient ses expériences et mécontens de voir Papin se décharger sur eux de sa part du travail collectif. Negant Mathesim esse de pane lucrando, écrivait-il à Leibnitz. Il dut même réclamer l’intervention du prince dans des querelles obscures, suscitées au sein de la communauté protestante et qui avaient amené son excommunication par ses coreligionnaires. Le landgrave, sans entrer dans la querelle, y mit fin par des ordres impératifs. Mais, préoccupé par les intérêts de son État et par les besoins de la guerre, perpétuellement entretenue en Europe sous Louis XIV, et qui absorbait toutes les ressources disponibles, Charles Ier finit par ne plus prêter qu’une oreille distraite à ces réclamations continuelles et à ces projets, dont le fruit utile était si rarement atteint. Il était d’ailleurs, suivant un mot de Leibnitz, chancelant dans ses résolutions. « Les princes ont tant de sortes d’occupations qu’ils ne pensent guère aux sciences, » écrivait Papin. Les revenus promis étaient, comme il le dit, « difficiles à tirer à cause de la guerre. » Dès 1690, il demandait à Huygens de lui trouver une situation en Hollande.

Cependant, il persistait à suivre ses inventions, lorsque arriva la catastrophe de l’explosion du canon rempli d’eau, l’explosion qui démolit une partie de l’atelier et blessa mortellement plusieurs personnes. De la Saussaye et les biographes de Papin y voient l’effet de quelque noir complot de ses ennemis. Je ne sais : mais une telle expérience serait dangereuse, même de notre temps, où l’on possède mieux l’art de régler la détente de la vapeur d’eau : on ne l’exécuterait certes pas dans l’intérieur d’un édifice, et l’on