Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/568

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cependant on doit reconnaître que la réputation de Papin, un peu effacée au siècle dernier, a brillé dans le nôtre d’un nouvel éclat, à la suite des recherches qui ont établi complètement son rôle au début des inventions dont est sortie la machine à vapeur de notre temps, — et spécialement l’application de cette machine à la direction des vaisseaux. L’enthousiasme excité par ces grandes découvertes, qui ont multiplié dans une proportion presque miraculeuse les effets du travail humain et transformé toutes les industries et l’art du commerce par terre et par mer, n’est pas encore éteint; il a amené les esprits curieux à l’examen des degrés successifs, suivant lesquels la science technique et appliquée est parvenue à les réaliser. Arago, entre autres, a retracé d’une façon magistrale l’histoire de la machine à vapeur, il y a soixante ans (Œuvres d’Arago, t. V).Déjà le rôle de Papin, comme promoteur primitif de ce que l’on appelait alors la pompe à feu, est signalé dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (t. XIV, p. 167 et 169, édition de Genève, 1778). Mais la pompe à feu n’était pas encore devenue la machine à vapeur moderne.

Nulle question n’est définitivement vidée, ni dans l’histoire, ni dans la science. Il y a toujours lieu à une révision, et il est même nécessaire de la faire à de certains intervalles : des documens nouveaux intervenant sans cesse, qui modifient les premières opinions. Nous en rencontrerons quelques-uns au cours de ce récit, soit dans la connaissance exacte des textes anciens, soit dans la trouvaille imprévue des renseignemens nouveaux relatifs au bateau à vapeur de Papin, renseignemens qu’Arago n’avait pas connus et qui viennent fournir un plus solide appui à ses jugemens.

Reconnaissons pourtant qu’à son époque, on tranchait ces questions de priorité par des appréciations peut-être trop absolues ; les grandes inventions, dans l’ordre pratique surtout, étant graduelles, et leur mise en œuvre reposant sur une progression de détails et de perfectionnemens, qui ne permettent pas d’en attribuer toute la gloire, ni même parfois la gloire principale, à une personnalité unique. La vérité en cette matière consiste dans le récit impartial et critique des travaux et des idées qui se sont succédé, appuyés les uns sur les autres.

La marche des sciences impose même une réserve plus générale et qui s’applique à toute découverte. L’intérêt que nous attachons aujourd’hui à ce qui touche la machine à vapeur à cause de l’universalité de son emploi est certes plus grand que celui attribué il y a cent ans à la pompe à feu ; mais peut-être cet intérêt diminuera-t-il dans l’avenir, le jour où la machine à vapeur, — engin de transformation assez imparfait, en somme, de l’énergie des agens naturels, — viendrait à faire place à quelque