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Chinois ou d’un Turc, le petit répondit : « Je préfère un petit cheval de bois, peint en rouge, avec un sifflet dans le derrière. » Et, de son côté, Bugeaud se fit plus d’une fois devant la Chambre l’interprète de la pensée secrète du Roi, qui lui témoignait de la confiance, et avait avec lui des entretiens dont quelques échos viennent jusqu’à Romieu; mais leur rareté fait contraste avec l’abondance des autres épanchemens, et l’on ne peut que le regretter si toutes les conversations royales ressemblaient à celle-ci :


Mon cher préfet, j’ai vu le Roi, et S. M., en me questionnant sur le département, m’a fourni très naturellement l’occasion de lui parler de la division. Voici le dialogue qui a ou lieu : « Comment va votre département? , Est-on content? — Il va bien. Sire. On y est calme, les dernières lois y ont produit un excellent effet. On n’y parle presque plus politique. On s’y occupe beaucoup d’intérêts matériels, d’agriculture, de routes et de chemins. Une seule chose afflige le département et surtout Périgueux : c’est la suppression de la 20e division militaire. Votre Majesté, en signant cette mesure, ne s’est pas souvenue qu’immédiatement après la révolution de Juillet, elle promit au maire et à la députation de Périgueux que la division ne leur serait plus enlevée. — Doucement! général, je n’ai rien promis, car la maison d’Orléans a pour principe depuis fort longtemps de ne rien promettre, mais de faire tout ce qu’on peut. Un autre principe que nous avait laissé un de nos aïeux, c’était de ne jamais lire une lettre ou un placet en présence de celui qui nous le remet. Je n’ai donc pas pu promettre cela, j’ai dit que je ferais ce que je pourrais. — V. M. en est certainement convaincue, mais, au milieu de ce délire de la révolution de Juillet, elle peut bien avoir oublié un moment ces petites règles de conduite, et il est malheureux qu’on ait proposé cette mesure à V. M., sans une urgence bien évidente, car il est certain que la population de Périgueux croyait avoir votre promesse. — (Avec impatience). Non, général, je n’ai rien promis. — Je le crois, Sire, mais il y a un remède en attendant mieux, c’est de nous donner une bonne garnison. — Ah! voyez pour cela le ministre, je ne demande pas mieux. » J’ai dû cesser une conversation qui fatiguait évidemment le Roi, et je l’ai félicité sur la gloire que le duc d’Orléans vient d’acquérir à Oran. Alors sa figure s’est épanouie, et, dans une conversation de dix minutes, il m’a dit des choses pleines de vérité et de bon jugement.


En réalité, Bugeaud est du parti du Roi et il suit sa politique; il la sert avec efficacité, parce qu’elle est la sienne, et que le régime constitutionnel n’en permet pas de meilleure. Et l’on se tromperait fort si l’on s’imaginait que l’esprit militaire rarement s’associe avec la souplesse et l’habileté : ils s’accordent très bien au contraire, l’art de gouverner les hommes faisant partie des qualités d’un bon général ; qu’ils aient ou non un fusil entre les mains, leur inspirer confiance est un problème fort ardu. Et qu’est-ce donc que la stratégie et la tactique, sinon la finesse, l’esprit de repartie mises en œuvre et portées à leur plus haute puissance? Qu’est-ce que ces ruses de guerre, brusques attaques et retraites, marches rapides, charges de cavalerie soudaines?