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de la raison, les illogismes de la logique et la nécessité des concordats entre les principes et les hommes. Et comment Bugeaud aurait-il compris Dupin, sympathisé avec lui? Ils étaient aux pôles opposés du talent. Le général aurait peut-être fait bon marché du droit écrit. Dupin y rapporte tout, politique, morale, philosophie : le gouvernement n’est qu’un tribunal agrandi, avec ses actions, exceptions, défenses, moyens dilatoires; la Charte de 1814, un contrat synallagmatique rompu pour inexécution des conditions, refait en 1830 avec des conditions nouvelles. Dans cette recherche scolastique du texte, celui qu’on appela « le plus spirituel des esprits communs » s’attache aux virgules, aux syllabes, semblable au vieux préteur romain qui, observateur fidèle du droit quiritaire formaliste et barbare, ignorait le droit des gens, plus humain, plus spiritualiste. Emporté par son zèle de légiste, Dupin se place un jour en face de Jésus-Christ, dénonce la sentence de Pilate comme injuste et sujette à révision, pour vice de forme et fausse interprétation de la loi. Incapable de discipline, aussi prompt au sarcasme qu’aux oscillations politiques, détestant « ces beaux Narcisses de doctrinaires », habile à mêler les brusqueries aux complimens lucratifs, et si près de ses intérêts qu’on l’accusa d’avoir fait sa règle de conduite d’un mot prêté au maréchal Soult : « On ne m’arrachera mon traitement qu’avec la vie, » il déploya les qualités d’un président modèle, mais ne dut s’en prendre qu’à son caractère et à ses coups de boutoir s’il perdit cette dignité. Et je ne voudrais pas laisser)entendre, après lui, que, s’il l’eût conservée, Louis-Philippe serait peut-être mort aux Tuileries, mais la Chambre y aurait gagné sans doute quelques instans de gaîté ; — et une attitude plus ferme le 24 février.

Bugeaud aime le Roi, la royauté, et s’il reproche quelque chose à Louis-Philippe, c’est de manquer parfois de fermeté. D’ailleurs, il n’admet nullement que le trône soit devenu un fauteuil, la royauté une métaphore, une abstraction couronnée, son représentant un dieu d’Epicure. Dans cette mêlée confuse, où le parti arrivé au pouvoir prend les armes de son adversaire, comme Hamlet et Laërte échangent leurs épées au milieu du combat, le Roi lui apparaît comme régulateur suprême et clef de voûte du système : lui seul peut pacifier les combattans, discerner les véritables courans de l’opinion publique, établir une moyenne entre ceux-ci et les volontés de la Chambre ; seul il représente l’esprit de permanence et de tradition. Et tant mieux s’il est le vrai ministre, dont la pensée se fait acte dans la politique étrangère, qui gouverne aussi bien qu’il règne, à force de concessions, de bonnes