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l’utilisation de ce merveilleux engrais, bien supérieur, pour la culture des céréales, aux fumures que peut donner le bétail. Que les colons de la Metidja et de la vallée du Chéliff, par exemple, aient, sans grands frais, la possibilité de l’amener et de le répandre dans leurs domaines, ils pourront se consoler des déboires de la viticulture et attendre patiemment que la découverte d’une plante fourragère, appropriée aux ardeurs du climat, leur permette de donner à l’élevage du bétail toute l’extension qu’il comporte dans un pays essentiellement agricole comme l’Algérie.

Mais, si intéressante qu’elle soit, l’utilisation locale des phosphates algériens semble peu de chose à côté des résultats qu’est susceptible de donner leur exploitation industrielle. Évidemment, cette exploitation ne peut être que successive. Si capable d’extension qu’on la suppose, la consommation agricole du phosphate de chaux est cependant limitée. Ce serait en avilir les cours que d’en jeter sur le marché des quantités trop grandes. D’autre part, il faudrait se garder d’oublier l’énorme mise en œuvre de capitaux que suppose l’exploitation normale et régulière des gisemens de l’Algérie. A côté des chemins de fer à aménager ou à construire, il y a les ports eux-mêmes à organiser, comme ont su le faire les Américains dans la Floride. Il y a aussi les usines à établir, afin de traiter sur place les matériaux d’extraction dont la teneur ne serait point assez riche pour qu’on les puisse exporter tels quels. Ce n’est donc pas l’œuvre d’un jour, pas même d’un siècle, que l’exploitation industrielle des milliards de tonnes de phosphate que peut contenir le sol algérien. Il faut, du reste, s’en féliciter ; car, ainsi comprise, cette exploitation est mieux qu’une cause brillante, mais passagère, d’enrichissement ; elle est pour l’Algérie, comme l’exploitation de la houille pour l’Angleterre et la Belgique, une source permanente de richesse et de prospérité.

Il est, enfin, un dernier point de vue qu’on ne saurait laisser dans l’ombre, alors qu’il s’agit de tirer des phosphates algériens tout le parti désirable : c’est le point de vue fiscal. Il n’est pas douteux, en effet, que le Trésor public soit en droit de compter sur l’industrie nouvelle qui s’ouvre en Algérie, pour y asseoir des ressources fiscales qu’il ne peut songer encore à demander à l’agriculture. Cela est d’autant plus légitime que l’État a un droit plus ou moins direct sur presque tous les territoires dans lesquels paraissent, jusqu’à présent, se localiser les gisemens à exploiter. Il s’agit soit de terrains domaniaux, soit de terrains appartenant à des départemens, à des communes ou à des douars[1], c’est-à-dire à des collectivités que l’État lui-même a dotées des propriétés dont elles sont aujourd’hui nanties. Dans ces conditions, peut-on

  1. Les douars sont des collectivités indigènes rappelant de très près les sections de commune de notre droit administratif français.