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d’un cournam ! » Le proverbe n’a peut-être pas tout à fait raison ; il n’en est pas moins obéi. Ramasamy peut être un excellent homme ; on se tient sur ses gardes. Les braves gens du village sont obligés de s’adresser à lui, et c’est ce qui fait sa force. Qui donc saurait comme lui calculer rapidement les intérêts, tracer si nettement de son poinçon les chi lires sur les elles, fournir instantanément et de mémoire tous les renseignemens sur le compte de paymache, dire les noms des propriétaires et ceux de leurs voisins ? On est émerveillé de voir qu’une si petite tête puisse contenir tant de choses.

Le garde champêtre, le taliari, vient ensuite, un gros homme, grand et fort, d’âge moyen, la moustache hérissée, que l’on ne voit jamais sans un bambou de six pieds de long. Nagasamynaïker — Monsieur Serpent, de la caste naïker — assiste MouItousamy dans ses audiences familiales et dans ses enquêtes civiles ou criminelles. La nuit, au temps des récoltes, il veille sur les riz mûrs et donne la chasse aux maraudeurs. A lui incombe encore le soin de porter à la ville prochaine l’argent des impôts que le chef du village perçoit. Dans l’exercice de ses fonctions de police, il reçoit souvent de petits présens : les mœurs hindoues ignorent l’incorruptibilité, et elles ne s’offensent pas trop du péculat et de la concussion.

Voilà les autorités principales du village, et les choses sont ainsi depuis combien de siècles ! C’est le mamoul, la tradition qui s’appuie sur les plus anciennes habitudes religieuses. Les manières, les coutumes, les travaux ordinaires de chaque jour ont leur origine et leur explication dans le culte, et font partie de la liturgie an même titre que les rites solennels qui s’accomplissent dans la pagode. Comme les livres sacrés des Hébreux, ceux des Hindous contiennent des prescriptions impérieuses qui concernent bien plus l’hygiène publique ou privée, et le gouvernement, que l’adoration de la divinité. Ainsi, par exemple, des ablutions quotidiennes qui sont réglées dans le plus grand détail et dont l’omission entraîne une sorte de défaveur publique.

Il n’est pas de peuple qui soit plus attaché que l’Hindou à ses institutions rurales et à ses pratiques rituelles. Ce que les ancêtres ont fait, on doit le faire toujours, sans y rien changer. Si, en dépit du sentiment conservateur qui domine dans les mœurs plus qu’ailleurs, des jeunes gens veulent innover ou se soustraire à telle ou telle pratique fastidieuse, de quel mépris ne sont-ils pas l’objet ? On n’a pas assez de railleries pour ces présomptueux qui se flattent de mieux faire que ceux qui les ont précédés dans la vie. Leur conduite est censurée, on s’éloigne d’eux, on ne les comprend pas et on ne les excuse pas, car leur façon d’agir est