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il n’est pas possible de discuter. Dans son Diarium, le maître des cérémonies de Léon X, Paris de Grassi, rapporte, en effet, que « le dimanche de la Quadragésime (de l’an 1519), le pape, revenant de l’église de la Navicella et de Sauta-Croce di Gerusalemme, rendit visite au nouveau palais du cardinal Farnèse, — ad novum palatium cardinalis de Farnesio, — et qu’il approuva ce qui avait été fait, trouvant que l’édifice était à la fois noble et somptueux. » Les travaux étaient donc assez avancés au printemps de 1519 pour que le pape éprouvât le désir de visiter la construction nouvelle, et pour qu’une fois sur les lieux il exprimât nettement sa satisfaction. Tout semble donc concorder pour établir que San-Gallo entra au service du cardinal Farnèse entre 1510, époque probable de la naissance de Ranuccio, et le 14 mars 1514, date de la mort de Bramante.

C’était alors le début, d’un des plus brillans pontificats qu’enregistre l’histoire de la papauté, bien que les qualités de Léon X fussent de celles qui conviennent plutôt à un prince séculier qu’au chef suprême de l’Eglise. Mais si Léon X sema quelquefois le vent, ses successeurs furent seuls à récolter la tempête. Pour lui, heureux et libre de soucis, il vécut aussi longtemps que le lui permit le sang vicié des Médicis, protégeant les arts et les artistes, prodiguant sans marchander l’or de la chrétienté pour embellir Rome et soutenir l’éclat de sa cour. Autour de lui, les grands seigneurs et les prélats rivalisèrent de luxe. On vit le banquier Agostino Chigi, qui avait bâti sur les bords du Tibre un délicieux casino, le faire décorer de la propre main de Raphaël.

L’intimité qui unissait de longue date les cardinaux de Médicis et Farnèse ne se démentit pas quand le premier monta sur le trône de saint Pierre. Quoique datant des belles années de leur adolescence, leur mutuelle sympathie reposait moins sur la communauté des souvenirs que sur une étroite conformité de goûts. Imprégnés des principes de l’humanisme, ils éprouvaient à un égal degré la joie de vivre à la condition que l’existence fût relevée par les satisfactions que procurent les arts et la poésie, l’argent et la puissance. C’est un spectacle singulier pour nous de voir Léon X, à peine revêtu de la dignité suprême de l’Église, accepter l’hospitalité de Farnèse et se transporter, en déplacement de chasse, dans les terres de Canino. La cour pontificale prenait part à ces plaisirs, et les poètes de la cour célébraient le soir en vers agréables les prouesses cynégétiques de l’amphitryon et de son hôte auguste. On y faisait de transparentes allusions aux dieux de l’Olympe, et j’imagine qu’aucun souci importun ne venait