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Cette visite est payée 10 à 20 francs au médecin accrédité dans le canton, suivant qu’il a mission de pousser plus ou moins loin son analyse.

Une fois qu’il a reçu de l’homme de l’art ce rapport, qui lui parvient sous pli cacheté, sans intermédiaire, le directeur de la compagnie connaît, dans son cabinet, son futur client aussi bien et peut-être mieux que ce dernier ne se connaît lui-même. Or aucune des parties de cette exploration faite sur sa personne et sur son passé n’est indifférente : l’on comprend qu’un phtisique, un ataxique, un diabétique, ne saurait se faire appliquer sans fraude des primes établies pour des individus sains et valides. Si l’on se montrait trop coulant, l’assurance finirait par devenir un sacrement laïque, que les malades se feraient administrer in extremis, au profit de leurs descendans. Il semble toutefois qu’après avoir pris les précautions qu’il a jugées utiles à sa sécurité, l’assureur devrait être engagé pour l’avenir d’une façon irrévocable. Plusieurs compagnies l’entendent ainsi : deux ans révolus après la signature du contrat, leurs polices deviennent incontestables, quelle que soit la cause qui ait amené la mort de l’assuré, eût-il été tué en duel, se fût-il même suicidé.

Toutes nos compagnies seraient bien inspirées en imitant cet exemple ; elles éviteraient la tentation d’intenter des procès dont le gain fut plus d’une fois scandaleux. On a vu avec étonnement une compagnie en appeler aux tribunaux, parce qu’elle refusait de payer le montant d’une assurance, sous prétexte que le défunt lui avait dissimulé son état morbide : ce qu’elle prouvait par ce fait qu’antérieurement à son contrat il avait passé un mois aux eaux et ne l’avait pas révélé en s’assurant. Une autre compagnie refusa d’exécuter un contrat en vigueur pendant huit uns avant la mort du client, en se fondant sur ce que, seize ans avant son décès, cet assuré avait eu un accès de délire et un rhumatisme articulaire qu’il n’avait pas déclarés. Le triomphe des compagnies dans de pareils litiges, toujours assez retentissans, est de nature à faire perdre du terrain aux assurances, tandis que la clause d’incontestabilité des polices, après un certain délai, leur donnerait au contraire une force nouvelle.

Quelle que soit au surplus la prudence déployée par les assureurs ils n’empêcheront pas un homme décidé à quitter la vie, et désireux d’enrichir du moins sa famille par sa mort, de souscrire au printemps une police sur sa tête, puis, l’été venu, de partir pour un innocent voyage en Suisse où, le pied lui ayant manqué par malheur dans l’ascension d’un glacier périlleux, il demeurera enseveli sous la neige. Ce désespéré obtiendrait le même résultat