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confiance revêt parfois une forme naïve, quand l’assuré d’une compagnie où M. Alphonse de Rothschild est administrateur exige absolument que la signature de ce dernier figure au bas de sa police, persuadé que son contrat acquerra ainsi une vertu spéciale, un supplément de valeur !

L’influence du conseil sur la marche des affaires est pourtant secondaire : c’est au directeur qu’appartient le rôle principal. Ce directeur, que l’on empruntait naguère au Conseil d’État, aux finances, à quelqu’une des branches de l’administration officielle, tend de plus en plus à devenir un professionnel, hiérarchiquement choisi parmi les fonctionnaires de sa compagnie, dont il a parcouru les différens grades. Le dernier quart de siècle a fait affluer dans les assurances un bon nombre de personnes que les mouvemens politiques avaient évincées du service de l’État. Il est telle compagnie que l’on prendrait ainsi pour un ministère tranquille. réactionnaire et élégant. À l’exception des directeurs, dont le traitement, triplé par une part sur les bénéfices, peut atteindre jusqu’à 100 000 francs par an, les employés sédentaires sont assez peu rétribués, mais ils sont sûrs de ce peu. Les inspecteurs et les agens arrivent à des appointemens beaucoup meilleurs, mais qui n’ont rien de fixe : le plus clair provient de leurs commissions.

Au chef du bureau de Paris ressortissent des centaines de courtiers, véritables sergens recruteurs de l’humanité assurable ; ceux-ci prennent parfois la qualité d’inspecteurs, pour se faciliter l’accès de certains cliens, bien que, sauf un petit nombre de fins limiers, ayant fait leurs preuves et touchant un minimum d’indemnité garantie, la plupart de ces rabatteurs travaillent pour le compte de plusieurs sociétés, et poussent indistinctement le gibier de leur chasse vers celle qui promet de les mieux récompenser. Les courtiers appartiennent à tous les mondes, moyennement aisés ou terriblement besogneux. Il en est de cuistres, il en est de grands seigneurs, de délicats et de « ficelles », de jeunes comme des écoliers, de vieux comme des patriarches. Les affaires devant être recherchées dans tous les milieux, et renouvelées sans cesse pour rajeunir la clientèle, les compagnies ne repoussent personne ; elles ont des affiliés jusque dans les cercles aristocratiques, courtiers occasionnels ou amateurs, courtiers honteux, sourdement détraqués par la gêne, soignant leur devanture et picorant sur leurs relations par l’exercice d’une obligeance lucrative.

En province les courtiers sont ostensiblement agens d’une compagnie déterminée, dont ils font les recouvremens. À la branche « vie » ils joignent, dans les petites localités, l’« incendie », au besoin les « accidens ». Dans de grandes villes, comme Lyon