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fondé sur l’affection et sur l’algèbre. Dans la tontine, les morts payaient pour les vivans : dans l’assurance en cas de décès les vivans paient pour les morts. La première a pour but de tirer un bénéfice des malheurs d’autrui, la seconde a pour objet de les atténuer. Par la tontine un certain nombre de gens formaient entre eux une masse commune, que les survivans convenaient de se partager au-delà d’une date fixée. Pour que l’affaire soit fructueuse, il faut que la mort multiplie les victimes. Ainsi, tandis que l’assuré marche vers un résultat sûr, le tontinier ne sait où il va.

Depuis la tontine royale de 1653, destinée à fournir des fonds au Trésor, une dizaine d’autres furent successivement créées jusqu’en 1759. En 1788 était érigée la première compagnie française d’assurances sur la vie ; mais, pendant que celle-ci disparaissait après quelques années d’existence, une tontine de triste mémoire, la fameuse « Caisse Lafarge », était fondée par un banquier de ce nom. Prônée par Mirabeau, qui fit entendre en sa faveur une éloquente improvisation, elle fut sur le point d’être adoptée par l’Assemblée nationale comme institution d’utilité publique. Plus de 60 millions furent engagés dans cette spéculation grandiose, calculée sur des prévisions de mortalité tellement considérables que, à les supposer exactes, elles devaient amener la fin du monde en quelques siècles. Pour que l’établissement pût tenir ses promesses, il fallait qu’à l’expiration d’une période de douze ans il n’y eût plus que 10 survivans sur 100 ; ce qui, à moins d’une formidable épidémie, était impossible. Avant que cette démonstration réfrigérante n’eût été faite, le succès momentané de Lafarge avait fait éclore d’autres sociétés analogues : la Caisse des Artisans, la Société numéraire, la Tontine du Pacte social. Malgré la surveillance administrative, à laquelle les tontines furent soumises à partir de 1809, les abus incroyables qui s’y donnaient libre essor, et plus encore leur, principe défectueux, les conduisirent presque toutes à des liquidations désastreuses. Elles eurent au XIXe siècle, en matière d’assurances, le même résultat qu’avait eu au XVIIIe, en matière de banques, le Système de Law : celui de compromettre une création bienfaisante et d’en dégoûter pour longtemps le public.

A côté des tontines qui poursuivaient leur carrière aventureuse, et dont la dernière achève présentement de mourir dans l’obscurité, s’étaient cependant créées de véritables compagnies d’assurances, sur le modèle de celles qui fonctionnaient avec succès en Angleterre depuis 1765 : la Générale, première en date, débuta en 1819 ; l’Union vit le jour l’année suivante.

L’un des objets de leur industrie, les rentes viagères, était