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Ce qui m’étonne plus encore, ce sont les maladresses inutiles dont l’auteur a surchargé sa pièce. A quoi bon ce solicitor vertueux qui nous ennuie et qui se donne des airs importans dans la pièce sans influer en rien sur la marche de l'action ? Lorsqu’un dernier hasard a mis Leslie au courant de son ridicule amour, qu’a-t-elle besoin de faire voir qu’elle l’a entendu ? Elle ne trouve à lui dire que deux mots : « Bonne nuit ! » Et il lui répond à son tour : « Bonne nuit ! » Cette scène en quatre paroles ne peut être que sublime ou grotesque : j’incline vers la seconde hypothèse.

Si j’avais assisté à l’une des premières représentations du Profligate, j’aurais cru voir un talent fourvoyé, tournant le dos au but qu'il faut atteindre, cherchant au-delà des confins du réel je ne sais quel larmoyant idéal. Je me serais trompé. M. Pinero est un esprit réfléchi, que ses erreurs instruisent, que ses succès n'aveuglent pas. Alors que l’écho des applaudissemens qui avaient salué le Profligate à Londres, en province et à l’étranger n’était pas encore éteint, M. Pinero préparait un autre drame, conçu d’une façon différente et même opposée ; un drame en demi-teintes, avec des touches réalistes ; une sorte de roman dialogué. C'était Lady Bountiful (7 mars 1891). Cette pièce ne met en jeu aucune vérité d'ordre général, aucun grand intérêt humain. Elle est fort inégale, tour à tour très irritante et très touchante, parce que, des deux femmes qui la remplissent, le malheur veut que l’une ait la sympathie de l'auteur et l’autre la sympathie du public. Mais Lady Bountiful annonçait, du moins, que l’auteur avait remis le pied sur le terrain de l’observation psychologique.

C'est le 27 mai 1893 que The second Mrs Tanqueray a été représenté pour la première fois au Saint-James. Il faut dire, à l’honneur du public anglais, que le succès fut immédiat, universel et durable. Le critique que j’ai déjà cité tant de fois écrivit dans un élan de joie : « Voilà une pièce que Dumas ne rougirait pas de signer ! » Personne n’a qualité pour parler au nom du plus grand de nos écrivains de théâtre ; mais, ces jours derniers, comme je relisais Mrs Tanqueray, je me disais que, si le caractère le plus éminent d’Alexandre Dumas est de condenser, en mots comiques ou en mots éblouissans, la critique du cœur humain, ce don rare se trouve à un degré presque égal dans le chef-d'œuvre d'Arthur Pinero. « Les lacunes, les imperfections de Mrs Tanqueray, dit encore M. Archer, sont les imperfections, les lacunes du théâtre. » J’irai plus loin, et je dirai qu'une pièce comme celle-là ajoute au domaine scénique. On y rencontrera des détails très menus, auxquels un jeu serré et intelligent donne le