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est celui de Palsam. Ce personnage est absolument répulsif. C’est le policier volontaire, le détective par vocation, l’incarnation de l’esprit de délation qui sévit si cruellement dans certaines zones de la société anglaise. Basile, auprès de lui, est un bon garçon, un aimable compagnon. Il emploie des moyens si bas qu’un agent des mœurs rougirait, chez nous, d’y recourir contre une habituée de Saint-Lazare, et c’est contre une femme du monde qu’il les met en usage !

Il est tellement insensible à l’honneur que la menace d’un soufflet ne lui fait même pas cligner la paupière. Comment le tolère-t-on ? comment le reçoit-on ? En France on le jetterait dehors, ’sans s’inquiéter de ses calomnies, qui ne seraient accueillies que dans les feuilles du plus bas étage. Ou plutôt, un Palsam véritable et complet, un Palsam sans défauts serait, chez nous, introuvable. En Angleterre il est une réalité et une puissance. Est-il aussi vil qu’il le paraît et que nous sommes portés d’abord à le croire ? Non. Sa conduite semble abjecte ; mais considérez, je vous prie, deux choses : la première, c’est qu’il agit sans intérêt personnel ; la seconde, qu’il se prive lui-même de toutes les équivoques douceurs de la vie dont il veut priver les autres. Accordez-lui le bénéfice de cette double observation, et peu à peu l’homme vous apparaîtra sous un nouveau jour. L’ascète réhabilitera l’espion ; vous serez obligé d’apercevoir une sorte d’héroïsme dans sa lâcheté et d’admirer, en la haïssant, son horrible vertu, qui est peut-être une des manières de faire du bien aux hommes.

Probablement M. Jones ne désirait-il pas, avec son Palsam, nous suggérer tant de réflexions ; mais, qu’il le veuille ou non, il les suggère, et c’est un mérite qu’il doit garder malgré lui. C’est, du reste, le caractère de cette satire très franche, très mâle, très généreuse, qu’elle ne bafoue jamais un adversaire sans laisser entrevoir le motif qui justifie, le trait qui rachète, et sans dévoiler ainsi l’homme tout entier.

M. Jones s’est moqué de ceux qui essaient de réformer Londres, et il les a montrés aboutissant à un piteux échec. Mais il n’a pas prétendu, assurément, que Londres soit bien comme il est et que l’assainissement moral de la grande cité ait cessé d’être un des noirs problèmes qui sollicitent et déroutent la bonne volonté des honnêtes gens. Lui aussi il a indiqué une solution, et c’est la solution vraie : « Pour réformer Londres, il faut d’abord que chacun de nous se réforme lui-même. » Telle est la conclusion de la pièce ; et ce sermon-là vaut mieux que bien d’autres.

A travers les succès et les défaites, la popularité de M. Joncs a encore grandi depuis quatre ans. The Tempter, il est vrai, a fort effarouché le public. Malgré les splendeurs intelligentes de la