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sans attendre de nouveaux ordres, dès que la paix sera faite ou dans le cas contraire, dès que nos établissemens de Tintingue et de Sainte-Marie pourront se passer de secours extraordinaires, vous renverrez en France toutes les troupes qu’il ne serait pas indispensable de conserver. » La paix n’est pas faite, mais nos établissemens sont parfaitement à l’abri et ne réclament plus de secours extraordinaires. J’ai consulté sur la question du renvoi des troupes le Conseil privé… les avis ont été unanimes sur la nécessité de renvoyer en France les troupes et les bâtimens… J’ai adopté cette opinion[1].


Cette lettre était écrite à point, et le hasard des révolutions lui fit trouver, en arrivant en France, un ministre tout prêt, non seulement à approuver le retour des troupes, mais encore à ordonner d’une façon définitive l’abandon de tout établissement à Madagascar.


V

En 1828, dans la discussion du budget, le 24 juillet, le général Sébastiani s’était écrié : « Nous ne possédons aujourd’hui de colonies que sous le bon plaisir de l’Angleterre, et j’ajouterai, dans le système actuel, au grand détriment de notre prospérité agricole, industrielle et commerciale. » C’est ce fougueux adversaire des colonies qui, deux ans plus tard, se trouvait, comme ministre, appelé à les protéger. Les grandes théories des hommes politiques ont beau dépendre (pour beaucoup) des seuls intérêts de leur parti, et n’être que des moyens de combat dont l’utilité cesse dès que le but est atteint, un homme, — même ministre, — ne peut changer de ton et d’opinion d’une façon trop brusque. Les idées dont il s’est servi et à l’aide desquelles il a remporté la victoire, il lui faut les garder, sinon par conviction, au moins par pudeur, et les adversaires des colonies en 1828 demeurèrent anti-coloniaux en 1830.

Madagascar n’était pas la seule expédition et la seule conquête qu’ils regardassent comme un legs onéreux et embarrassant du régime déchu. Alger même, ce joyau que la Restauration expirante venait de donner à la France comme don de suprême adieu, Alger ne trouvait pas grâce aux yeux des libéraux ; ils en déploraient la conquête. Pendant la campagne, l’attitude de la presse libérale avait été si antifrançaise qu’elle étonna les étrangers eux-mêmes et qu’un historien allemand, — l’un des champions pourtant et des admirateurs du libéralisme en Europe, — a pu écrire : « Par une espèce de reniement du sentiment patriotique, chose extraordinaire chez les Français, le journalisme libéral s’était érigé en véritable champion du dey d’Alger[2]. »

  1. Dépêche du 10 décembre 1830 (Archives coloniales).
  2. Gervinus. Histoire du XIXe siècle, t. X. p. 201.