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vivres pour plus de trois mois. Deux navires occupent et protègent la rade[1]. » L’ordre, la joie, l’abondance, régnaient dans le nouvel établissement. Le commandant de l’expédition avait tout prévu, mais il comptait sans un ennemi plus puissant et plus meurtrier que les Hovas : les marais. Sous ces roseaux ondoyans, sous ces plantes aux formes étranges, derrière ces buissons touffus, cet ennemi invisible et terrible, la fièvre, guettait la malheureuse garnison, et contre cet ennemi les canons étaient impuissans.


IV

Lorsque trois mois après, le commandant de l’expédition reparut à Tintingue, un triste spectacle et une douloureuse surprise l’attendaient ; la fièvre avait donné un démenti lugubre aux prévisions optimistes du médecin en chef chargé, l’année précédente, de donner son avis sur la salubrité du lieu choisi pour l’établissement. La dépêche adressée au ministre par le commandant Gourbeyre attestait un découragement profond : « Il nous manquait, écrivait-il, une expérience : c’était celle du climat pendant l’hivernage ; elle a été terrible, elle a été décourageante : sur un personnel de 188 blancs, la garnison, depuis le 28 novembre jusqu’au 8 février, jour de mon arrivée, a perdu 34 hommes, y compris MM. Gailly, commandant, et Boubeau, chirurgien du poste, qui ont provoqué la mort par mille imprudences. Toute la population blanche a été atteinte. Tous ceux qui n’ont pas succombé ont eu ou ont encore la fièvre. »

C’est de la bouche d’un des officiers qui ont partagé les souffrances de ces trois mois d’épreuves, M. Pasquet de Larevenchère, lieutenant au 16u léger, qu’il faut en entendre le récit : « Le départ du commandant avait été le signal de toutes les calamités qui vinrent fondre sur nous… C’est le 26 novembre qu’il nous quitta. Dès le 30, plusieurs hommes étaient atteints de la fièvre du pays. Dans le courant de décembre, la maladie fit de si rapides progrès que, vers la fin de ce même mois, il n’y avait peut-être pas dans toute la garnison 20 blancs qui ne fussent alités ; tous les jours on enterrait deux ou trois morts. La même épidémie régnait à bord de deux corvettes qui étaient sur la rade. On entassait les plus malades dans un mauvais local qui servait d’hôpital ; les autres demeuraient dans leurs chambres, presque sans secours, parce que le seul médecin qu’on avait laissé ne pouvait suffire à tout, et qu’il manquait même souvent des médicamens les plus nécessaires. »

  1. Dépêche du 10 novembre 1829 (Archives coloniales).