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Anglais : Madagascar est à leurs yeux un pays indépendant, ils l’ont déclaré ; ils ne peuvent nous empocher de faire valoir nos anciens droits. Sans doute la politique anglaise nous poursuivra de sa malfaisante influence, mais cette influence sera occulte, elle ne pourra nous causer des embarras diplomatiques. Du moins c’est ce qui résulte de la correspondance qui a eu lieu précédemment entre les deux cabinets et ce qu’a reconnu le conseil du Roi en 1826. Je dis qu’on ne doit pas songer à guerroyer, et je pourrais m’en dispenser, vu le petit nombre d’hommes qu’on pourrait employer à une expédition. Mais si la possession de Tintingue était d’un tel prix qu’elle valût une opération à main armée, nous verrions à faire, l’année prochaine, ce qui serait nécessaire, et la négociation de 1829 aurait encore sous ce rapport un but utile. L’important est de savoir au juste ce que peut valoir le point de Tintingue, où la nature a, dit-on, formé un port magnifique et une rade sûre et spacieuse ; avantages qu’il faut, ajoute-t-on, s’assurer au prix des sacrifices d’hommes et d’argent qui seraient nécessaires. Le ministre appelle toute votre attention sur cette partie de la mission et c’est celle à laquelle il tient le plus[1].


III

Chargé par cette lettre de désigner dans son escadre l’officier destiné à prendre la direction de l’expédition de Madagascar, l’amiral Roussin lit choix du capitaine de vaisseau Gourbeyre, commandant la frégate la Terpsichore. Aussitôt prévenu, celui-ci, quittant l’escadre du Brésil, fit voile vers Bourbon, et dans les premiers jours de juin 1829 il se trouvait en rade de Saint-Denys, où déjà les détachemens d’artillerie et du 16e léger, envoyés de France pour coopérera l’expédition, se trouvaient réunis aux effectifs des troupes de la garnison ordinaire de la colonie. Le gouverneur comte de Cheffontaines, qui, suivant les intentions du gouvernement, devait conserver la haute direction de l’expédition, remit aussitôt au commandant Gourbeyre les instructions qu’il avait rédigées de concert avec le conseil privé de la colonie, Puis, en lui transmettant le commandement des troupes de terre qu’il allait avoir sous ses ordres, il lui faisait leur éloge et celui de leurs officiers. C’était une bien petite armée : deux compagnies d’infanterie, appartenant au 16e léger et comptant chacune à peine une centaine d’hommes, un détachement d’artillerie, et une compagnie noire, tel était l’effectif des troupes, bien différent des imposantes armées coloniales que nos hésitations et nos retards nous forcent à déployer aujourd’hui. La place d’armes de la petite ville de Saint-Denys, chef-lieu de l’île Bourbon, fut suffisante pour la revue générale du « corps expéditionnaire » que le gouverneur tint à passer lui-même le 14 juin et dont le lendemain le journal local rendait compte en ces termes : « La division

  1. Archives coloniales. Cartons Madagascar, 1829.