gouvernement se proposait peut-être de brusquer les choses, et d’arrêter le Comte de Paris à la frontière, sauf à demander ensuite aux Chambres un bill d’indemnité. En wagon nous tînmes un petit conseil de guerre, le prince, M. le duc de Chartres, le marquis de Beauvoir et moi. M. le Comte de Paris comptait passer deux jours à Madrid, et ce séjour avait été annoncé d’avance par les journaux. Le plan était tout indiqué : brûler Madrid, et se diriger immédiatement vers la frontière, en tâchant que le départ, du prince ne fût pas signalé. A la gare de Madrid, nous prîmes, en effet, la précaution de monter ostensiblement et à l’avance dans le train qui était en partance pour Paris, M. le duc de Chartres, M. de Beauvoir et moi, tandis que M. le Comte de Paris n’y monta qu’au dernier moment et à contre-voie. Sa présence dans le train ne fut donc pas signalée par le télégraphe. Mais il fallait cependant prévoir le cas où des instructions auraient été envoyées par avance à la frontière. Quelques heures avant d’arriver à Hendaye, sur la table du sleeping car, le prince rédigea, à tout événement, une courte et énergique protestation contre l’atteinte portée à ses droits de citoyen français et contre la violence par laquelle on l’empêchait de rentrer dans son pays. Si les princes étaient repousses par la force à Hendaye, nous devions, Beauvoir et moi, passer outre et porter cette protestation à Paris. Nous étions fort animés, comme on l’est quand on se prépare à la lutte. Pendant la dernière demi-heure de notre trajet, nous gardâmes pourtant le silence ; peu à peu je vis la physionomie du prince changer, et ses traits s’affaissant trahir une tristesse profonde. Il ne se faisait point d’illusion sur ce qui l’attendait tôt ou tard : c’était l’exil, l’exil, c’est-à-dire le retour aux mélancolies et aux souffrances de sa jeunesse, la vie inutile et vagabonde, sans patrie, sans foyer. N’aurait-il donc vécu quinze ans en France que pour avoir appris à l’aimer davantage, et sentir plus cruellement la douleur d’en être arraché ?
Nous arrivâmes à Hendaye à midi. Pas de commissaire de police sur le quai, ce qui nous parut de bon augure. Pour ne pas attirer l’attention, nous allâmes déjeuner tous les quatre à la table d’hôte, avec le reste des voyageurs. Mais le bruit de la présence de M. le Comte de Paris dans le train s’était naturellement répandu. Aussi, au bout de dix minutes, vîmes-nous arriver le commissaire de police, qui entra d’un air effaré, et, faisant le tour de la table, se mit à regarder, en quelque sorte sous le nez, chaque voyageur, pour voir s’il reconnaîtrait le prince, dont les traits avaient été popularisés par de nombreuses photographies. Personne ne dit mot, personne ne bougea. Pas une parole, pas une indication ne vint aider dans sa recherche le malheureux